Nous sommes le 25 septembre 2000. L’ANZ Stadium de Sydney se prépare à une nouvelle soirée olympique. 112 524 spectateurs ont fait le déplacement. Soudain, c’est tout une nation qui retient son souffle. Dans la nuit noire, une étoile verte en combinaison futuriste fait son entrée sur la piste. Chaque image semble tourner au ralenti. L’attente est interminable. Et puis, un coup de feu, quarante-neuf secondes et treize centièmes délivrent les cœurs. Cathy Freeman, l’icône de tout un pays, l’a fait. Quelques jours après avoir allumé la flamme, elle devient championne olympique du 400 m. Dans son tour d’honneur, elle ose encore et brandit deux drapeaux, contre les règles du Comité olympique international (CIO). L’un bleu, avec ses étoiles et l’Union Jack anglais, la bannière australienne. L’autre rouge et noir, teinté d’un soleil doré, l’étendard des Aborigènes, de ses origines et de sa terre.
En cette nuit historique, elle déclare :
« Ce qui est arrivé ce soir est un symbole… Quelque chose va changer pour les Aborigènes, l’attitude des gens dans la rue, les décisions des politiques… Je sais que j’ai rendu beaucoup de gens heureux, quelle que soit leur vie, leur histoire, et moi aussi je suis heureuse d’avoir accompli ça. »
« J’ai réalisé qui j’étais vraiment »
Rien ne prédestinait Cathy Freeman à cette carrière dorée. Son histoire, dramatique, commence bien avant sa naissance, sur l’île de Palm Island, dans le Queensland. Alice, sa grand-mère, est arrachée à sa famille par les colons britanniques dès l’âge de 8 ans, pour suivre une éducation « blanche », à l’anglaise.
C’est le sombre épisode des « générations volées », où des milliers d’enfants aborigènes sont enlevés à leurs familles jusqu’à la fin des années 1960.
C’est dans cette mission de Palm Island que naît Cecelia, la mère de Cathy. À 18 ans, elle rencontre Norman. Une fois mariés et libres, ils quittent l’île et s’installent à Mackay. Cathy naîtra le 16 février 1973. De son père, elle ne garde que peu de souvenirs. Alcoolique, violent, il abandonne la famille quand Cathy n’a que 5 ans. L’une de ses sœurs, Anne-Marie, est handicapée de naissance. Elle décèdera quelques années plus tard, trois jours seulement après la première médaille d’or internationale de Cathy, aux Jeux du Commonwealth, à seulement 17 ans. Chaque victoire, chaque foulée sera désormais associée à cette sœur qui ne pouvait marcher. « C’est là que j’ai réalisé qui j’étais vraiment », confie-t-elle, en octobre 2014, à la chaîne australienne SBS.
« Rien ne pouvait m’arrêter »
Au nom des siens, Cathy Freeman enchaîne les succès. Elle signe un doublé 200-400 m en 1994, aux Jeux du Commonwealth. Deux ans plus tard, elle est vice-championne olympique du 400 m à Atlanta, derrière Marie-José Pérec. Très vite, elle dépasse sa rivale française et monte sur la plus haute marche du podium à Athènes, en 1997, et à Séville, en 1999.
Plus rien n’empêche l’athlète aborigène de voler sur ses « Jeux Olympiques », chez elle, sur ses terres. Alors que Marie-José Pérec s’enfuit vers l’aéroport de Sydney, Cathy Freeman, porte-flambeau et icône nationale, maîtrise la pression colossale, et remporte son premier et unique titre olympique. Elle inscrit son nom à jamais dans les annales du sport australien. « Dans ma tête, Sydney, c’était le bon moment. Rien ne pouvait m’arrêter, c’était une opportunité que je devais saisir. Voilà 17 ans que je portais ce rêve en moi », confie-t-elle, dans une interview à Radio France Internationale, en 2013.
« Que les enfants aborigènes expérimentent leur potentiel »
Mariée et mère d’une petite fille, Cathy Freeman a quitté la piste depuis près de dix ans. Mais, la quarantaine passée, elle s’engage désormais dans d’autres courses. En 2007, elle a créé la Freeman Foundation, pour améliorer l’éducation des enfants aborigènes, notamment à Palm Island. Une épreuve de fond, titanesque, sans garantie de victoire, tant les discriminations restent importantes dans la société australienne.
En septembre 2014, un rapport annuel du gouvernement australien a révélé que les inégalités sociales entre les Aborigènes et les non-indigènes se sont encore creusées. Ainsi, les enfants aborigènes ont sept fois plus de chances d’être victimes d’abus ou de négligence et, quelques années plus tard, 23 fois plus de chance d’être emprisonnés.
Le temps où Cathy Freeman gagnait des courses à l’école primaire, sans recevoir les trophées, destinés aux blanches, n’est donc pas encore révolu. Pourtant, bien consciente du chemin qui reste à parcourir, l’ex-championne olympique veut continuer ce nouveau tour de piste. Elle qui connaît mieux que quiconque la force des rêves. La force de croire en son destin. À la télévision australienne, elle confiait encore, en octobre dernier :
« Je veux que les gens, en particulier les enfants aborigènes, expérimentent leur potentiel et leur grandeur ».
Crédits photo : Department of Foreign Affairs and Trade et CBS news