Au cœur de la « meilleure » ferme d’Australie

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Ambiance de fin de saison
Ambiance de fin de saison

Chaque année, des milliers de jeunes cherchent du travail dans le fruit picking. Mal payé, accommodation onéreuse, conditions de travail détestables et dangereuses, la cueillette de fruits n’est pas toujours à la hauteur des attentes du voyageur dans le besoin. À quelques kilomètres de Darwin, une ferme de mangues déjoue cependant les plus mauvaises réputations et concourt secrètement pour le titre de meilleure ferme d’Australie. Reportage.

Soirée de fin de saison à Tou’s Garden, une ferme d’ Australie

Une belle soirée d’octobre dans le Territoire du Nord. Dans l’herbe devant la maison, les tables et les chaises sont de sortie. Coiffés, maquillés ou simplement propres, les premiers backpackers arrivent, décontractés, faciles, d’humeur joyeuse. À l’écart, petite mais rayonnante, Tou sert un cocktail maison, le sourire aux lèvres. Dans des saladiers, Tom a disposé des vermicelles caramélisés et des chips aux crevettes. À l’horizon, par-delà les manguiers et dans un ciel orangé, le soleil commence à décliner. Pour la fin de saison à Tou’s Garden, probablement l’une des meilleures fermes d’Australie, la nuit s’annonce définitivement parfaite et électrisée.

Quelques heures plus tard, à l’intérieur de la maison. Dans l’immense salle de séjour, quelques aficionados jouent au billard, derrière un écran géant qui diffuse les photos de la saison. Couvert d’un chapeau de policier et de lunettes de soleil, un Français tend à dissimuler une allergie aux mangues, et de courtiser une Allemande, bouteille de champagne à la main.

Titi, Thaïlandais, coupe afro et mètre quatre-vingts-quinze, s’est déniché un masque de ski et crie, à-tout-va et en Français, « C’est ça qui est bon ! ». Robe rouge de soirée et démarche chaloupée, Tou, qui a découpé une mangue, creusé et ôté la chair, remplit sa coupe fruitée de champagne puis fait boire ses travailleurs, un par un, et cul-sec…

Soudain, survient la photo de groupe. Derrière les sourires et l’ivresse, une main géante aux couleurs de l’Australie glisse des étoiles, des souvenirs et des tranches de vie… Toutes figées dans le temps.

La première récolte, stick pour picking, charrette et  deux chiens de garde.

L’aventure Tou’s Garden a démarré il y a 17 ans, issue de l’idylle d’un Australien, Ian, et d’une Thaïlandaise, Tou. Au départ, le couple investit à Howard Springs à quelques kilomètres de Darwin. Faute de moyens, la première récolte sera piquée par les nouveaux propriétaires eux-mêmes, aidés d’un unique stick pour picking – sorte de long bâton avec une pince -, d’une charrette et de deux chiens de garde.

La ferme Tou's Garden
La ferme Tou’s Garden

En 1996, le couple fait l’acquisition de nouveaux manguiers à Berry Springs, avec atelier de packing, chambre réfrigérante et accommodation. Puis, en 2000, Tou et Ian investissent dans un immense terrain vierge à Acacia Gap. La même année, les premiers arbres sont plantés. L’originale charrette à roue est alors remplacée par des machines spécialement conçues pour les mangues. Un nouvel atelier de packing est entièrement pensé et un hébergement 4 étoiles voit le jour à Acacia Gap. Tou y installe sa maison, sa famille et son business.

Aujourd’hui, entre les trois sites du Territoire du Nord, Tou’s Garden possède 35 000 arbres et 4 variétés de mangues pour l’une des plus grandes fermes du Territoire.

La folle ascension de Tou’s Garden n’aurait pu voir le jour sans la personnalité incroyable de sa manageuse. Aussi curieuse et généreuse que froide et dure, Tou est la vraie gestionnaire de la ferme, là où Ian, discret et contenu, n’intervient qu’en appel. Dans son regard, peuvent alterner une passion inaltérable pour l’argent – les dollars dans les yeux façon bande dessinée – des flammes de colère, comme un amour, une joie de vivre envers des valeurs simples : la famille, le travail, les amis.

La richesse de la ferme : ses mangues : 35 000 mangiers en 4 variétés
La richesse de la ferme : ses mangues : 35 000 mangiers en 4 variétés

Fière de ses travailleurs internationaux qu’elle appelle sa « force multiculturelle », elle écoute avec attention les récits de voyage et s’amuse des disparités culturelles : « J’adore la France. Je connais Paris, le sud, les Alpes. Et l’accent ! L’accent français est tellement sexy ! ».

Secrètement, elle veille au bien-être de chaque travailleur, en connaissant le prénom, l’histoire et les anecdotes de plus de 30 saisonniers chaque saison. Elle instaure une sympathie et une proximité.

« Les Français sont de très bons piqueurs. Les Allemands, de parfaits organiseurs »,

se plait-elle à dire, malicieusement,

dans une ferme presque franco-allemande. La journée, la moindre erreur est réprimandée. Le soir, Tou a le mot gentil, la blague facile. Sa philosophie est simple : travaillez et vous serez récompensés.

Chacun contribue à sa manière – humour, travail, folie, sagesse – à l’équilibre d’une ferme familiale pensée et ajustée depuis presque deux décennies.

La solidarité des pickers :-)
La solidarité des pickers 🙂

Tou’s Garden est une affaire de famille. Le neveu de Tou est Thaï, la trentaine passée. Superviseur du picking, il officiait comme ranger dans un parc national en Thaïlande. Homme à tout faire et travailleur acharné, au caractère difficilement autoritaire, il se distingue par une maîtrise de l’anglais hasardeuse qui fait de lui un personnage exotique et attachant. Tom est la sœur de Tou et une véritable ode au bonheur gastronomique.

Cuisinière en chef et sourire permanent, elle pimente les soirées les plus fades par des plats inoubliables. Titi, 19 ans, est le fils de Tom. Outre son physique de catcheur, il possède une mémoire incroyable, qui lui permet de répéter des insanités en 10 langues. Étudiant en architecture à l’université de Darwin, il travaille à mi-temps pour Tou qui lui paye ses études. Chacun contribue à sa manière – humour, travail, folie, sagesse – à l’équilibre d’une ferme familiale pensée et ajustée depuis presque deux décennies.

La force de Tou’s Garden : sa stabilité. Au sein du millésime 2010, hormis un travailleur coréen ravagé par une allergie aux mangues, aucun employé n’est parti avant la fin de la saison.

Et dans le fruit picking, lorsque le travail est lâche, ingrat, dur, physique, autant dire que le fait est plutôt rare. Grâce à un accueil et un hébergement hors pair, le travail s’avère même définitivement acceptable et ce, malgré les 35 degrés quotidiens du Territoire du Nord. Payée à l’heure près de 19 $ (environ 15 € brut), la besogne s’avère moins sportive que les fruits ou légumes au sol (ou presque), tels les fraises, les tomates, les potirons ou les pastèques. Deux gros désavantages cependant : l’allergie, appelée mango rash, très fréquente sur les peaux claires, qui provoque des démangeaisons violentes ; et le sap, l’acide présent dans la queue du fruit, qui engendre des brûlures et des marques brunâtres.

Tou est expérimentée, elle sait comment motiver ses troupes et comment tirer le meilleur parti du travail à l’heure : des bières pour un minimum de bins (caisses) et une bouteille de Jack Daniel’s pour la meilleure équipe de la saison. Et de murmurer insidieusement le record officiel de la ferme sur une journée, comme une pression invisible. Peu de choses, mais tout de même assez pour dégager un esprit enfantin de compétition. Du sport et de la fierté pour certains, une entreprise qui prospère pour d’autres.

« Je veux la meilleure accommodation d’Australie »

La botte secrète de Tou : l’hébergement. Sur ce sujet, elle s’exprime simplement : « Je veux la meilleure accommodation d’Australie ». Pour deux heures de travail par jour, soit trente-cinq dollars, Tou propose une pension complète avec écran plat et des centaines de DVD, un accès Wi-Fi, billard et baby-foot, canapés en cuir, bibliothèque…

Le confort dans une ferme de picking ne sont pas souvent à cette hauteur.
Le confort dans une ferme de picking ne sont pas souvent à cette hauteur.

Et une nourriture incroyable concoctée par Tom, entre traditions culinaires australiennes et thaïlandaises, le tout à volonté tout au long de la journée : beignets de bananes frits, pinces de crabe épicées, dessert riz-coco, viandes en sauces, mangues séchées… Le matin, des saladiers remplis de papayes, de pastèques, bananes et mangues entourent le café, les tartines de confiture et les céréales.

Pendant la journée, chaque équipe possède sa glacière, avec sandwichs, boissons chaude et glacée, fruits et cookies. Parfois, dans l’après-midi, Thaï apporte des sodas frais sur les champs. Le soir, lorsque la journée de travail a été fructueuse ou qu’il y a simplement une occasion à fêter, des bouteilles de champagnes, du vin et des bières fraîches attendent sagement sur la table.

Il y a bien sûr des règles et elles sont strictes : pas d’alcool autre que celui offert, de drogues, ou d’irrespect à l’intérieur de la maison. Les valeurs vont au travail et à l’esprit de communauté, au cœur d’une « famille heureuse » comme souffle joyeusement Tou.

Attention: Les tarifs ont fortement augmentés entre 2010 (245 dollars/semaine) et 2011 (420 dollars/semaine)

La ferme mise ainsi sur le principe de la gratuité. Pour 245 dollars par semaine (tarif 2010), un loyer cher, chaque service est gracieux, de la machine à laver au mini-bus pour la ville, en passant par Internet. Ainsi, en ne dépensant rien, chaque travailleur met 700 dollars de côté pour une semaine complète.

À titre de comparaison, Acacia Hills Farm, autre ferme de mangues du coin, propose un hébergement à 140 dollars par semaine, mais sans les repas, le bus ou Internet. Si l’on ajoute ces dépenses, le budget s’avère presque similaire… sans le confort de la meilleure accommodation d’Australie.

Tou, la boss, aussi curieuse et généreuse que froide et dure !
Tou, la boss, aussi curieuse et généreuse que froide et dure !

Dans le Queensland, de Bundaberg (tomates) à Tully (bananes) en passant par Bowen (légumes), les fermes s’arrangent dans la majorité des cas avec les backpackers du coin pour obliger les travailleurs à payer un loyer onéreux, parfois deux semaines à l’avance, afin d’être placés sur une liste d’attente. Sanitaires sales et cafards sous les tropiques, la vie à la ferme se situe plus comme une tentative de survie que comme une expérience de jeunesse.

Par ses conditions de travail, Tou’s Garden ne peut plus passer inaperçu. La revue australienne Outback Magazine s’est décidée à écrire un papier sur la ferme. Quand on lui parle de presse, Tou rayonne. Une part d’elle pense forcément à la publicité et à l’argent que cela peut engendrer. Mais dans son regard brille aussi la fierté et la juste récompense d’un long et fastidieux travail accompli, au cœur d’une ferme unique en Australie.

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3 Commentaires

  1. Salut,

    Je rappelle que le prix de l’accommodation est passé de 275$ par semaine en 2010 (prix élevé mais raisonnable au vue de l’accommodation) à 420$ en 2011 (prix totalement déraisonnable). Cela représente une augmentation de plus de 50% quand même….

    Pour les fous qui sont prêt à mettre cette somme pour dormir dans un dortoir de huit, allez-y les gens sont sympa.

    Pour les gens qui ont un peu la notion de ce que valent les choses, passé votre chemin…

    bye

  2. C’est surtout l’arbre qui cache la foret
    le fruit picking en australie c’est de l’esclavagisme dans 90% des cas
    A quand un ptit reportage sur le fruit picking a bundaberg qu’on rigole?

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