Une histoire des aborigènes pour aller au delà des lieux communs, des a priori sur ce sujet ô combien sensible en Australie. La reconnaissance de ce peuple, des ces peuples, et le processus de réconciliation sont en route, mais il reste beaucoup à faire pour préserver cette culture unique, au delà des images caricaturales et touristiques. Superbe travail de recherche et de rédaction par Caroline Simon.
Du coté de la « wider community »
Pour bien faire, il faudrait commencer par parler un peu de l’évolution générale des mentalités en matière de tolérance en Occident depuis un demi-siècle, mais vous devez être au courant ! On pourrait aussi évoquer l’Australie (pour changer ?) et la redécouverte de ses tentations républicaines, de sa dimension Asie-Pacifique et de son multiculturalisme, qui ne sont pas innocents là-dedans : manifestations ou causes d’ouverture, ce qui est certain, c’est qu’ils semblent bien aller dans le sens de la Réconciliation.
Allez, deux citations de deux très grands :
Paul Keating, lorsqu’il devint premier ministre en décembre 1992, reconnut publiquement le passé :
« The starting-point might be to recognise that the problem starts with us non-Aboriginal Australians.(…) Recognition that it is we who did the dispossessing. We took the traditional lands and smashed the traditional way of life, we brought the diseases, the alcohol. We committed the murders. We took the children from their mothers. We practised discrimination and exclusion… »
Traduction : « Pour commencer, nous devons reconnaître que ce problème, nous en sommes la cause initiale.(…) Reconnaître que nous avons été l’artisan de la spoliation. Nous avons confisqué les terres ancestrales et anéanti une culture et une manière de vivre traditionnelle, nous avons apporté des maladies, l’alcool. Nous avons commis des crimes. Nous avons arraché les enfants à leur mères. Nous avons pratiqué la discrimination et l’exclusion… »
Sir William Deane, l’ex-Gouverneur Général de l’Australie a pour sa part précisé à de nombreuses reprises que ce passé n’est jamais complètement derrière soi, qu’il se fond dans le futur, qu’il nous façonne.
Les partis politiques
Grosso modo, le Parti Travailliste et les Démocrates soutiennent la Réconciliation. Paul Keating était un proche d’Eddie Mabo et de sa famille, il l’a soutenu dans son combat. Fin 2001, alors que les dernières élections législatives approchaient, M. Kim Beazley, leader de l’époque, a promis d’appliquer un programme pro-Réconciliation si le parti travailliste parvenait à prendre le pouvoir, bien entendu.
Quant aux Démocrates, ils comptent dans leurs rangs un célèbre sénateur aborigène, Aden Ridgeway. Dans un excellent article pour » National Outlook » en mai 1999, il a déclaré:
« I am deeply disturbed by what I see as statements which seek to give respectability to the radical shift to the right shown by : the hand-over programs to the states and territories; · massive cuts in funding to indigenous programs; · the repeal and devolution of heritage legislation; · the repatriation of the Northern Territory Aboriginal Land Rights Act; · the future of the ATSIC is in doubt; · the removal of powerful legal tools to protect indigenous interests; · the high likelihood that land councils and other peak bodies may be dismembered and disempowered.
All of this is reflective of and entirely consistent with the New Right ideology which has come to dominate the conservative political agenda in this country, fanned forcefully by the misguided and blind ignorance of Pauline Hanson’s One Nation Party. » (…) « In recent times, there has been tremendous political insensitivity shown for a government to remove the legal property rights of indigenous people who have recently won their rights after 200 years. »
Le Sénateur termine quand même sur une note optimiste :
« I am heightened in my faith by a growing people’s movement and a new solidarity in the common good of human dignity and unity. »
Nous savons la répugnance qu’éprouve la coalition Liberal-National actuellement aux commandes ( 2004) à présenter des excuses… L’action la plus significative de ce gouvernement, pour le moment : le plan en dix points, ou Loi d’Amendement du Titre Indigène visant à revenir sur les décisions Mabo et Wik.
Leur principal argument ? « C’est du passé « , » les Européens étaient eux-mêmes des victimes « . Ce à quoi on peut répondre, comme le leader aborigène Pat Dodson dans un article pour le » Sydney Morning Herald « , à l’occasion du vingtième anniversaire de la première loi sur la terre en 1996 (il s’exprimait en tant que membre de la direction du Conseil Australien pour la Réconciliation à l’époque) :
The Australian Public – not the Aboriginals – have to ask themselves whether the current government is in fact honouring and progressing that commitment, that obligation in terms of the process of Reconciliation.(…) It is a nation that has got to deal with its legacy, not of the past but of the continuation of the very dynamic attitude that has sustained that legacy. »
Sir Ronald Wilson, ex-juge à la Haute Cour (il a un palmarès » réconciliatoire » impressionnant à son actif) conserve néanmoins des certitudes:
« I believe we are getting wiser. I believe we are seeing the start of a people’s movement where all sorts of tributaries are starting to run together into a broad river that will carry all before it, including governments – not that governments are opposed to Reconciliation. »
Les gouvernements des états et territoires
À tous les niveaux de la hiérarchie politique, ça bouge. On commence au bas de l’échelle ! Par exemple, les conseils locaux entreprennent des actions décrites lors des Réunions des Comités de Conseil Aborigènes, très concrètes, qui traitent de tous les aspects de la vie des Aborigènes dans les villes : dons, services communaux, services pour la jeunesse, droits, programmes culturels, patrimoine, Réconciliation, encouragement à s’impliquer dans la vie publique, à se présenter aux élections, etc.
À un niveau plus élevé dans la hiérarchie, de nombreux ministères dans les différentes provinces se préoccupent également du sort des populations aborigènes. Voilà par exemple une citation de source très personnelle, puisqu’il s’agit d’un ami, mais rassurez-vous, il est parfaitement sérieux et fiable !
« I have visited Wilcania three times in the past month (500km south west of Warren) for the Department of Juvenile Justice facilitating juvenile offenders in a conference on the victim and the offender, and drawing up an outcome plan for restorative justice instead of the normal punitive handed down by the courts. Wilcania has a majority (600) of Aborigines and 200 Europeans so is very unusual for New South Wales. I have a friend here, Karen Donaldson, who is an artist also (…). Her work with the Aborigines is or has been nothing short of heroism – particularly in the area of oral history recording and setting up education systems to help the young appreciate their aboriginality. »
Dans le même domaine, de l’autre côté du continent, le Ministère de la Justice d’Australie Occidentale dépêche tous les mois une équipe spécialisée de juges, d’avocats, etc. dans des endroits aussi reculés que les Kimberley. Versés à la fois dans les domaines de la loi traditionnelle et de la loi du Commonwealth, parfois même d’ascendance aborigène, ils adoptent une approche très pragmatique et mieux informée.
La nature et le tourisme
Le Ministère Fédéral de l’Environnement, du Sport et des Loisirs, ainsi que ses équivalents au niveau local ont tous contribué à mettre en place les quelques 2000 parcs nationaux et réserves naturelles (7,53 % de la surface continentale de l’Australie… Ça rend rêveur !), dont 13 appartenant au patrimoine mondial de l’humanité, patrimoine naturel et historique, sans compter ceux qui se situent outre-mer : les îles Norfolk, Christmas, Heard et McDonald, le Territoire Antarctique Australien, etc.
Tout ça dans un seul but : protéger les magnifiques ressources naturelles de l’Australie et l’immense héritage culturel aborigène dont ils recèlent.
Les organes gouvernementaux désirent limiter les effets négatifs du tourisme sur les Aborigènes en exigeant des touristes (pas ceux d’australia-australie, bien sûr, qui, comme on le sait, sont le nec plus ultra de ce qui se fait comme touristes sur la planète !) qu’ils respectent un certain nombre de règles, parmi lesquelles des préceptes élémentaires de politesse particuliers aux Aborigènes (que la plupart des guides touristiques signalent systématiquement).
Copyright photos : Australia.com, Wikipedia, ABC
Texte : Caroline Simon