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21 novembre 2024

L’uranium. /LE MONDE/22.02.05

3 sujets de 1 à 3 (sur un total de 3)
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    Caroline
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    Areva ne renonce pas à son gisement d’uranium australien contesté

    Les responsables d’Areva n’ont pas mis bien longtemps à comprendre qu’ils auraient le plus grand mal à exploiter leur gisement d’uranium de Koongarra, en Australie. Les prospecteurs ont découvert ce filon de 14 000 tonnes d’oxyde d’uranium dans le Territoire du Nord en 1971, mais, en trente-quatre ans, aucune société n’est parvenue à obtenir le droit de creuser.

    Le terrain se situe à 3 kilomètres de Nourlangie. Ce rocher, qui est une des principales attractions touristiques de la région, est couvert de peintures aborigènes et appartient au parc national de Kakadu, classé par l’Unesco au patrimoine mondial de l’humanité.

    Les communautés indigènes originaires de cette zone, à 250 kilomètres à l’est de Darwin, se sont toujours opposées à l’arrivée des groupes miniers. Elles ont obtenu en 2000 un moratoire de cinq ans qui empêche Areva de fouiller des terres, même concédées.

    A l’approche du 26 avril, date de la fin de la suspension provisoire de prospecter, la presse australienne a accusé le groupe français de vouloir lancer ses bulldozers à l’assaut de Kakadu. Le directeur général de la Cogema en Australie, Stephen Mann, a cherché en vain à mettre fin à la polémique en expliquant que sa société ne faisait que lancer les formalités administratives pour obtenir une nouvelle concession sur le terrain.

    500 MILLIONS D’EUROS POTENTIELS

    Pour lancer l’exploitation du gisement, « nous avons besoin d’un climat politique propice, et je ne pense pas que nous ayons cela en Australie », concède Tim Gitzel, le directeur des activités minières d’Areva. Les déclarations des hommes politiques locaux confirment son analyse. « Quelle personne sensée voudrait ouvrir une grosse mine juste à côté de Nourlangie ? commente Kon Vatskalis, le ministre des mines du Territoire du Nord. Quelles seraient les conséquences sur le tourisme ? Il y a tant de choses à prendre en compte avant même de commencer à creuser. » « Nous ferons tout ce que nous pouvons pour empêcher l’ouverture de cette mine », prévient Peter Robertson, le porte-parole du Centre pour l’environnement du Territoire du Nord.

    Areva pense qu’il lui faudra encore cinq ou dix ans pour obtenir les autorisations nécessaires pour exploiter Koongarra. « Nous ne souhaitons pas abandonner ce site, prévient M. Gitzel. Le climat politique peut évoluer.Nous avons vu cela se produire dans certains pays, comme le Canada. »

    Le gisement n’est pas gigantesque et la proportion d’uranium dans le sol (moins de 1 %) est faible comparée à celle enregistrée sur certains filons canadiens (18 % à 20 %) d’Areva, qui produisent chaque année jusqu’à 7 000 tonnes. Mais, avec le cours de la livre d’uranium qui a triplé en trois ans, Koongarra représente un trésor potentiel de 500 millions d’euros.

    La production mondiale d’uranium, en 2003, n’a pas dépassé 42 180 tonnes, alors que les besoins mondiaux approchaient 77 000 tonnes, selon l’Association nucléaire mondiale. Les centrales nucléaires tournent en puisant dans les stocks militaires des puissances nucléaires, mais ces sources finiront par se tarir. D’où l’importance stratégique, pour Areva, de posséder des gisements d’oxyde d’uranium inexploités.

    Frédéric Therin

    #343887
    borisong
    Participant

    j’ai trouvé un article interressant sur cette affaire pour compléter ton post:

    https://en.unesco.org/

    …et pour donner mon avis j’espere simplement que le projet d’areva avortera car ça serait désastreux pour l’equilibre du parc nationnal de kakadu et de ses autochtones attaché à la terre comme on peut l’etre à son propre enfant.

    d20010108_2.jpg

    #343888
    Caroline
    Participant

    Merci!!! D’ailleurs, je le pique et on conseille à tous de lire LE COURRIER DE L’UNESCO!!! Et surtout les articles de Sophie Boukhari! Une fois, cette année-là justement, j’avais rencontré un couple qui restait là-bas en maximum de temps pour essayer de faire bouger. On dirait que les Australiens sont assez unanimes sur la question de l’uranium, d’autant que c’est mauvais pour le tourisme…

    L’AFFAIRE KAKADU ÉBRANLE LE MONDE DU PATRIMOINE


    Sophie Boukhari, journaliste au Courrier de l’UNESCO.

    En octobre 1998, la compagnie Energy Resources of Australia avait déjà bien avancé les travaux d’aménagement de la mine souterraine de Jabiluka. On aperçoit ici, au premier plan, la descente de la mine qui, selon les Aborigènes mirrars, perturbe gravement leurs sites les plus sacrés.

    De même que celles de Ranger et de Koongarra, l’enclave de Jabiluka (73 km2) n’est pas classée «patrimoine mondial», bien qu’elle soit située dans les limites du parc de Kakadu (19 804 km2).

    «Nous disons la vérité. Très souvent, des populations non aborigènes mettent en doute l’authenticité de nos cultures. Mais c’est aux Mirrars qu’appartient le site sacré en question»

    Le parc de Kakadu contient de nombreux sites d’art rupestre, qui montrent des héros mythologiques,
    des animaux ou des objets familiers aux Aborigènes.

    «On respecte La Mecque ou Jérusalem, alors il faut respecter les lieux saints aborigènes. Le problème, c’est que personne n’a jamais déterminé leur étendue exacte. Ils ne sont connus que par quelques initiés. En principe, ils gardent cette information pour eux mais aujourd’hui, ils sont prêts à la livrer pour se protéger»

    En avril 1999, Hillary Clinton reçoit Yvonne Margarula: la chef des 27 «propriétaires traditionnels» mirrars de l’enclave de Jabiluka venait de recevoir le prestigieux prix Goldman pour l’environnement – qu’elle partageait avec sa compagne de lutte Jacqui Katona (à l’arrière-plan)

    «On considère aujourd’hui qu’il existe des cultures non monumentales où le paysage a une valeur culturelle très élevée, surtout en Afrique et en Océanie. Il faut les protéger au nom de l’humanité»

    L’ouverture d’une mine d’uranium dans le parc de Kakadu, en Australie, ravive le débat sur la protection du patrimoine mondial. A l’échelle planétaire.

    Jusqu’où protéger le patrimoine mondial et qui doit en juger? Près de 30 ans après l’adoption par l’UNESCO de la Convention de 1972 visant à protéger les sites naturels et culturels «d’une valeur universelle et exceptionnelle», la question déchaîne toujours les passions. La retentissante affaire du parc national de Kakadu, inscrit sur la Liste du patrimoine mondial en 1981, a récemment été l’occasion de le vérifier.
    Au cours des dernières années, partisans et adversaires de l’exploitation du gisement d’uranium de la mine de Jabiluka, située dans une enclave non classée du parc, se sont livrés une guerre sans merci. Batailles d’experts, pugilats rhétoriques, heurts entre militants et forces de l’ordre australiennes, campagnes de presse, sessions «extraordinaires» des organes compétents de l’UNESCO et marchandages diplomatiques ont marqué ce tumultueux épisode de l’histoire du patrimoine mondial.
    Kakadu, situé dans le Territoire du Nord de l’Australie, renferme un large éventail d’écosystèmes des zones humides et boisées, riches en espèces rares, et de nombreux sites d’art rupestre. Les traditions culturelles y remontent à plus de 50 000 ans, c’est-à-dire à l’occupation humaine la plus anciennement connue du continent. De par sa longue histoire, ce «paysage culturel» représente un exemple unique d’interaction entre l’homme et son environnement.

    Le «Temps du rêve»
    Le relief, les plantes et les animaux sont très présents dans les traditions des quelque 550 Aborigènes qui vivent à Kakadu. Ils entretiennent un lien spirituel étroit avec leurs terres, dont ils sont les «propriétaires traditionnels», en vertu du droit australien. Ils croient y avoir été placés par des «personnages spirituels» comme le serpent arc-en-ciel, surgis à l’époque de la création pour donner forme et vie au monde. Leur travail accompli, ces créatures surnaturelles — qui conservent, dit-on, un pouvoir sur les êtres humains et la productivité des terres — ont sillonné le paysage, s’arrêtant tantôt pour se battre, tantôt pour se reposer. Elles ont créé des lieux sacrés: les sites et les pistes du «Temps du rêve» (Dreaming).
    Mais le songe des origines s’arrête là. Aujourd’hui, la région de Kakadu est aussi considérée comme l’une des réserves d’uranium les plus riches du monde. Grand comme la Belgique, le plus vaste parc national d’Australie concentre tous les ingrédients d’un cocktail explosif: la traditionnelle rivalité entre la conservation d’un site et son exploitation économique, l’épineux problème des résidus radioactifs, l’affirmation des droits des peuples autochtones.
    Trois enclaves minières (Ranger, Jabiluka et Koongarra) y ont été délimitées au début des années 70, avant la création du parc national (1979), précisent les autorités australiennes. Exploitée depuis 1981, la mine de Ranger est toujours en activité. Par ailleurs, le Conseil foncier du Nord (CFN), représentant officiel des 16 clans aborigènes dans les instances de gestion du parc, avait donné son accord en 1982 pour l’exploitation du gisement de Jabiluka.
    Changement de décor l’année suivante: le nouveau gouvernement élu en 1983 limite l’exploitation d’uranium. Le projet de Jabiluka est gelé. Cependant, «avec l’accord du CFN et le consentement donné par les propriétaires coutumiers aborigènes, affirme le gouvernement dans un rapport daté d’avril 1999, la concession de Jabiluka est transférée à la compagnie Energy Resources of Australia (ERA) en août 1991», bien qu’elle reste inexploitée.
    Nouveau virage en mars 1996: le Parti libéral remporte les élections fédérales et se déclare pour la construction de nouvelles mines d’uranium, y compris à Jabiluka. Après une série d’études d’impact sur l’environnement, le gouvernement donne son feu vert à ERA, qui commence à creuser la descente de la mine début 1998. Il estime que le projet, créateur d’emplois, pourrait rapporter jusqu’à 2,5 milliards de dollars de recettes d’exportation et 140 millions de royalties aux Aborigènes. Mais les 27 membres du clan mirrar s’y opposent.

    Un site «dangereux»?
    Les Mirrars sont les propriétaires traditionnels de l’enclave de Jabiluka. Ils estiment que la mine les menace et ne se sentent plus liés par l’accord signé par le CFN en 1982. Leur nouveau leader, Yvonne Margarula, fait preuve d’une détermination sans faille: son père, aujourd’hui décédé, et les anciens représentants aborigènes ont, selon les Mirrars, accepté de signer sous la pression des intérêts miniers, à une époque où les droits des Aborigènes étaient encore mal assurés et leurs dirigeants peu accoutumés aux négociations «modernes». D’autre part, les Mirrars jugent l’expérience de Ranger non concluante: bien que les Aborigènes aient perçu des royalties, «la situation sociale de la région ne s’est pas améliorée depuis les années 80», note une étude commandée par plusieurs acteurs de la gestion de Kakadu, dont ERA, et publiée en 1997.
    Contrairement à d’autres clans aborigènes qui y sont favorables, les Mirrars déplorent que l’exploitation minière bouleverse leur vie et mette en péril leur mode de subsistance traditionnel, fondé sur la chasse et la cueillette. Enfin, ils clament que le territoire de la mine est hautement sacré — de la catégorie des sites du dreaming dits «dangereux» (les perturber aurait des conséquences terribles). «Nous disons la vérité, affirme Yvonne Margarula. Très souvent, des populations non aborigènes mettent en doute l’authenticité de nos cultures. Mais c’est aux Mirrars qu’appartient le site sacré en question.»
    Ce groupe d’Aborigènes bénéficie du soutien des écologistes, avec qui ils forment le Jabiluka Blockade (le blocus de Jabiluka) dès 1996, pour stopper le projet. Sur place, des heurts sont enregistrés à plusieurs reprises entre les militants et la police. Près des deux tiers des Australiens se déclarent opposés à l’ouverture de la mine. Une virulente campagne internationale est lancée et trouve des échos dans le monde entier.
    Le dossier ne tarde pas à arriver sur le bureau du Comité du patrimoine mondial de l’UNESCO, composé de délégués de 21 Etats, élus pour six ans. Il croule sous des centaines de lettres de protestation, qui dénoncent les risques que la mine fait courir à l’environnement et aux droits culturels des Mirrars. L’ONG Union mondiale pour la nature (UICN), l’un des trois organes consultatifs du comité, confirme ces menaces.
    En juin 1998, le comité décide d’envoyer une mission d’experts à Kakadu. Elle conclut «qu’il existe des menaces réelles et potentielles sur les valeurs culturelles et naturelles du parc». Elle mentionne notamment les incertitudes scientifiques concernant l’impact de l’exploitation minière sur l’eau et la faune aquatique ainsi que les effets à long terme du stockage des résidus miniers radioactifs. Elle s’inquiète de «l’impact visuel» de la mine sur le site et des dangers menaçant la culture et la religion des Mirrars.
    L’ICOMOS (Conseil international des monuments et des sites) et l’ICCROM (Centre international d’études pour la conservation et la restauration des biens culturels) — deux organes consultatifs du comité de l’UNESCO — insistent sur la fragilité du patrimoine intangible des Aborigènes. «On respecte La Mecque ou Jérusalem, alors il faut respecter leurs lieux saints, estime Henry Cleere, de l’ICOMOS. Le problème, c’est que personne n’a jamais déterminé leur étendue exacte. Ils ne sont connus que par quelques initiés. En principe, ils gardent cette information pour eux mais aujourd’hui, ils sont prêts à la livrer pour se protéger.» Il affirme aussi, avec les Mirrars et de nombreux experts, que l’enclave de Jabiluka est indissociable du vaste ensemble de sites et de pistes du Dreaming qui couvre le parc, même si elle n’appartient pas légalement au site classé: lui porter atteinte menace le réseau sacré tout entier.

    Droits culturels
    La mission déplore que la construction de la mine ait été présentée au comité comme un «fait accompli», alors qu’il aurait dû en être informé avant le début des travaux, d’après les textes de la convention. Elle invite le gouvernement australien à revoir les accords de 1982 et de 1991, afin de protéger les droits culturels des Mirrars.
    En décembre 1998, le Comité du patrimoine mondial, réuni à Kyoto (Japon), demande la suspension des travaux et programme une session extraordinaire en juillet 1999 pour décider d’inscrire ou non Kakadu sur la Liste du patrimoine en péril. Les ONG se réjouissent; le gouvernement australien lance la contre-offensive. Pour lui, l’affaire est un enjeu lourd de politique intérieure. Elle donne lieu à de féroces débats avec l’opposition travailliste et les Verts, qui contestent les choix environnementaux du gouvernement et l’accusent de compromettre le processus de réconciliation avec les Aborigènes, accéléré au début des années 90.
    Au cours des discussions, le ministre de l’Environnement australien, le sénateur Robert Hill, et les autres membres de sa délégation, venue en force à Paris, posent d’emblée que l’Australie n’a de leçons à recevoir de personne: elle a été l’un des premiers pays à signer la convention, en 1974, et a adapté sa propre législation à ce traité international. Elle revendique «la plus grande superficie de tous les Etats parties» bénéficiant du label «patrimoine mondial», et consacre 30 millions de dollars par an aux biens inscrits.

    Alcool et nourriture occidentale
    Le sénateur Hill martèle que les enclaves minières existaient au moment du classement du site et que l’Australie s’était réservée le droit d’exploiter Jabiluka dans le futur. La mine de Ranger n’a pas occasionné de dégâts, soutiennent les délégués australiens, qui se targuent d’une longue expertise minière et d’une réglementation très stricte, établie sur la base de critères écologiques et de santé publique. A coup de contre-expertises scientifiques, ils affirment que les risques pour l’environnement sont minimes et que le mode de stockage des résidus radioactifs est des plus sûrs. Ils ajoutent que la mine, cachée par des collines, est très peu visible depuis le parc. Elle ne peut être vue que du ciel. Or, 10% seulement des touristes survolent Kakadu au cours de leur visite du site.
    Ils répètent que les Aborigènes avaient consenti à l’exploitation de Jabiluka par le passé et que la mine ne menace pas directement les sites sacrés, «protégés en vertu de la loi australienne». Ils accusent en réalité les Mirrars d’instrumentaliser leur religion pour arrêter le projet: «Ce n’est qu’en 1997 que des revendications ont été formulées au sujet d’une zone élargie de Boyweg (le nom du site sacré), qui couvrirait éventuellement toute la vallée de la mine, note le rapport d’avril 1999. Dans le même temps, le site a changé de catégorie, passant de site «sacré«à site «sacré dangereux«(…). Ces récentes revendications ne concordent pas avec les dossiers anthropologiques ou les déclarations antérieures…».
    Les délégués australiens exonèrent aussi leur gouvernement en ce qui concerne le faible développement socioéconomique de la communauté aborigène et la perte de ses valeurs culturelles. «Nous ne pouvons pas éviter que l’argent serve à acheter de l’alcool et des produits alimentaires occidentaux», lance l’un d’eux devant le comité.
    Ils s’engagent cependant à modifier les plans d’exploitation de l’ERA et à renouer le dialogue avec les Mirrars, pour mieux définir leurs droits culturels. Le 12 juillet 1999, le sénateur Hill abat son joker: la mine de Jabiluka n’entrera en activité qu’en 2001 et sa montée en puissance sera retardée, annonce-t-il. Elle ne sera exploitée pleinement que lorsque la mine de Ranger sera pratiquement fermée, à la fin de la prochaine décennie. Il promet de dégager 1,8 million de dollars pour renforcer les infrastructures du parc et d’intensifier les efforts de l’Etat pour améliorer la situation des Aborigènes sur le plan du logement, de l’eau, de l’éducation, de la santé, de l’emploi, etc.
    «Il y aura une enquête dans les mois à venir pour évaluer la menace qui pèse sur les biens culturels des Aborigènes, ajoute-t-il. Nous avons l’intention de nommer un médiateur entre les propriétaires traditionnels et l’ERA. Nous allons faire une pause… Nous reconnaissons la complexité de l’extraction d’une mine dans cet environnement, même si elle ne fait pas à proprement parler partie du parc.»
    Le comité du patrimoine mondial décide de ne pas inscrire Kakadu sur la Liste du patrimoine en péril. Mais il continue à se dire «gravement préoccupé» par l’impact de la mine sur les cultures vivantes de Kakadu et par le manque de dialogue et de progrès en matière de gestion du patrimoine culturel avec le peuple mirrar. Il maintient de sérieuses réserves sur les «incertitudes scientifiques» du projet et demande au gouvernement australien de fournir de nouveaux rapports avant le 15 avril 2000.
    Venues en force elles aussi au siège de l’UNESCO, les ONG protestent avec fracas. La Wilderness Society, qualifie la décision du comité de «tragique capitulation face à la pression intense du gouvernement australien». Avec elle, plusieurs ONG estiment qu’elle entame la crédibilité de la convention, qu’elle est le fruit de la «sale campagne» menée par l’Australie auprès des Etats représentés au sein du comité. Le gouvernement avait fait savoir au début de l’année qu’il dépenserait plus de 600 000 dollars pour financer une campagne de lobbying destinée à empêcher Kakadu d’être inscrit sur la Liste du patrimoine en péril. De plus, l’Australie avait annoncé en juin 1999 qu’elle soutiendrait la candidature de l’ancien ministre des Affaires étrangères Gareth Evans à la succession de Federico Mayor, au poste de directeur général de l’UNESCO. La Wilderness Society avait dit espérer que ce soutien «n’était pas uniquement un moyen de pression sur le président du comité du patrimoine mondial, l’ambassadeur japonais Koichiro Matsuura», lui-même candidat à la direction de l’UNESCO.
    Au-delà de ses multiples dimensions politiques, l’affaire de Kakadu a démontré la vulnérabilité du patrimoine mondial. Jusqu’où le préserver, quand certains paysages ou monuments extraordinaires sont de plus en plus menacés, comme le montre l’allongement de la Liste du patrimoine en péril, qui compte aujourd’hui 23 sites? Pourra-t-on, à l’avenir, faire barrage aux projets économiques, miniers ou autres, qui les mettent en danger, quand les besoins d’emplois et de croissance sont de plus en plus pressants? Qui doit décider de la valeur des sites et des moyens de les sauvegarder? «A l’origine, le patrimoine mondial était défini selon la tradition culturelle artistique occidentale, explique Henry Cleere. Mais le concept a évolué: on considère aujourd’hui qu’il existe des cultures non monumentales où le paysage a une valeur culturelle très élevée, surtout en Afrique et en Océanie. Il faut les protéger au nom de l’humanité.» Mais que faire quand leur valeur n’est pas pleinement reconnue, y compris dans leur propre pays? Jusqu’où la communauté internationale peut-elle aller pour les protéger? Le débat se poursuit. Selon la convention de 1972, les Etats qui demandent que certains de leurs sites soient inscrits sur la Liste reconnaissent qu’ils constituent «un patrimoine universel pour la protection duquel la communauté internationale tout entière a le devoir de coopérer». Mais ils peuvent en même temps prétendre à voir leur souveraineté «pleinement respectée».
    Dans le cas de Kakadu, le gouvernement australien a défendu une interprétation très restrictive de la convention sur le rôle de la coopération internationale, incarnée par le comité: il lui a notamment dénié le droit d’inscrire un bien sur la liste «en péril» sans son accord. Le sénateur Hill a d’autre part critiqué le fonctionnement du comité en remettant en question la légitimité de ses organes consultatifs. «Il faudra réexaminer le rôle des soi-disant experts indépendants et des conseillers», a-t-il déclaré.

    Ecoimpérialisme
    Il a ainsi apporté de l’eau au moulin des contempteurs d’une gestion collective du patrimoine de l’humanité. Dans l’affaire Kakadu, l’Australie a bénéficié du soutien d’une quarantaine de congressistes américains, qui dénoncent «l’écoimpérialisme» de l’UNESCO. «Tout conflit au sujet d’une mine australienne devrait être résolu par les citoyens australiens travaillant avec leurs représentants élus — pas dans un obscur comité du patrimoine mondial… Nous vous demandons d’inciter la délégation américaine auprès du comité du patrimoine mondial à ne pas se mêler de l’affaire Jabiluka», ont-ils écrit dans une pétition adressée au président Clinton le 1er juillet. Ce groupe de pression tente d’imposer que la gestion des sites américains du patrimoine mondial soit contrôlée par le Congrès. Il présente son action comme «une réponse à l’immixtion du comité dans une controverse à propos d’une mine d’or située sur une propriété privée en-dehors des frontières du parc national de Yellowstone…». Washington avait obtenu l’abandon du projet minier en 1996, après l’inscription de Yellowstone sur la liste «en péril».
    Ce cas et bien d’autres montrent que la gestion collective du patrimoine universel entre malgré tout dans les mœurs. Si l’affaire de Jabiluka n’a pas confirmé cette tendance, elle a cependant mis en lumière l’extraordinaire pouvoir de mobilisation des partisans d’une gouvernance mondiale. Aux quatre coins de la planète, des ONG, des hommes politiques — le parlement européen avait adopté une résolution contre la mine en janvier 1999 — et de simples individus se sont passionnés pour «sauver Kakadu». «On n’avait jamais vu ça, résume Sarah Titchen, qui a suivi le dossier au Centre du patrimoine mondial de l’UNESCO. Kakadu est désormais connu dans le monde entier par tous ceux qui s’intéressent au patrimoine».
    Et le feuilleton continue. Les Mirrars s’opposent maintenant, en toute légalité, à la construction sur leur territoire d’une route d’une quinzaine de kilomètres; elle permettrait à la société ERA de transporter sur le complexe minier de Ranger l’uranium extrait à Jabiluka. Le traitement du minerai dans les infrastructures de Ranger serait moins périlleux pour l’environnement et, surtout, beaucoup moins coûteux. Au point qu’ERA n’exclut pas de quitter la région de Kakadu avant 2006, si les Mirrars ne cèdent pas à propos de la route. Et il ne faut pas compter sur le serpent arc-en-ciel pour leur conseiller de le faire.

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