« De l’autre côté de Bourke. » Derrière cette phrase ordinaire, se cache en réalité une expression bien australienne : si la plupart des anglophones disent « at the back of beyond » (« de l’autre côté de l’au-delà »), nos amis aussies ont depuis longtemps établi leur propre équivalent. Oui, vous m’avez compris, « the back o’ Bourke », ça veut surtout dire : au milieu de nulle part, au milieu de l’Outback.
Bourke elle-même est pourtant une ville de bonne taille à l’échelle de l’outback : on peut y trouver des infrastructures aussi modernes et sidérantes qu’un supermarché, des mécaniciens, des magasins de bricolage et même une bibliothèque. Bourke, c’est une vraie métropole à sa façon, et par le passé c’était même en réalité un centre névralgique de l’économie de la nation : située sur les rives du fleuve Darling, Bourke était un port fluvial où les bateaux à vapeur embarquaient récoltes de fruits et de coton à destination du Victoria et du South Australia. De cet « âge d’or » ne subsistent qu’une vieille jetée de bois, quelques enseignes annoncant « Port of Bourke » et une dette environnementale qui se chiffre en millions de dollars. Car pour assurer la navigation du Darling, les colons d’antan n’avaient aucun scrupule à abattre les arbres de la rive pour nourrir leurs chaudières et déblayer les troncs tombés dans l’eau (« snags ») qui entravaient la circulation… mais constituaient un habitat essentiel pour les poissons.
Dans Bourke elle-même, aux arbres des jardins de vétustes maisons, des bandes de red-tailed black cockatoos font régner la loi : comme les Major Mitchell’s, ces cacatoès noirs à queue rouge sont des résidents de l’outback. Sur les rives de la Darling, c’est un groupe de plusieurs centaines de corellas qui niche aux arbres. Mais pour une fois, ce n’est pas sur le long du fleuve que va se concentrer mon exploration : Gundabooka National Park, le parc national le plus proche de Bourke, se trouve au sud de la ville, en retrait des eaux, et sa géographie est une surprise. Des plaines, la chaîne de Gunderbooka s’élève jusqu’à 495 m de haut, ce qui fait de son sommet un véritable géant à l’échelle de l’outback.
La proximité du fleuve Darling fait de ces terres le lieu d’habitation ancestral du groupe Paakantji, ces mêmes aborigènes qui occupaient les gorges et les crêtes du Mutawintji National Park. Et ici aussi, les Paakantji ont laissé leur marque sur la chaude surface de la roche : à Mulgowan, une caverne est décorée de riches peintures, couche sur couche d’empreintes de mains, de lignes abstraites, de dessins d’émeus et d’hommes dansant. Dans le parc de Gundabooka, nul besoin de guide pour accéder à ce site d’art aborigène… qui est protégé 24/24, 7/7 par un grillage. Non loin, blottis dans les pins endémiques de la région, une demi-douzaine de Major Mitchell’s Cockatoos se nourrit silencieusement de noix, tandis que des crested pigeons (littéralement, « pigeon à crête » : normal, ils ont l’air de punks) décollent dans un caractéristique cri de crécelle.
Un peu plus loin, la basse bosse de Little Mountain (définitivement plus « little » que « mountain » !) fournit une autre balade, cette fois à travers des bois de mulga. Le mulga, c’est l’arbre de l’outback, au feuillage touffu d’une couleur gris-vert bien particulière, qui se marie avec charme et douceur au rouge de la terre de sable et d’argile. Quelques grands arbres – kurrajongs et beefwoods – dépassent de la couverture du mulga, et des petits buissons portent quelques rares fleurs sauvages, clochettes roses à violettes qui ajoutent une touche de couleur au paysage. Cette palette d’artiste s’agrandit au passage des petits oiseaux qui vivent dans ces bosquets : red-capped robin au plumage noir peint de rouge au niveau du front et du poitrail, ou splendid fairy-wren tout de bleu vêtu. Des marches de pierre mènent à la fin du sentier, où une plate-forme donne vue sur Gunderbooka Range.
C’est justement là-bas que se trouve la dernière randonnée du parc, jusqu’au sommet du Mount Gunderbooka. Très vite, on quitte la plaine, son herbe pâle et ses forêts de mulga, pour gravir une colline de roc où la végétation est dominée par des cyprès et de denses buissons couverts de minuscules et délicates fleurs blanches.
L’outback, plat et desséché ? Une vérité générale dont il est presque difficile de se souvenir depuis ces hauteurs verdoyantes, où il souffle un vent à décorner tous les buffles (ou plutôt les chèvres, qui, encore une fois, sont le problème écologique majeur du parc), et où un énorme aigle d’Australie (wedge-tailed eagle) me regarde d’un œil en se laissant porter par un courant d’air chaud juste au-dessus de ma tête. Le sommet lui-même, coincé dans les bois, ne propose qu’une vue limitée, mais une petite escapade sur les rocs environnants révèle la tranchée de Bennets Gorge qui coupe la crête pour descendre abruptement jusqu’à la plaine. Non loin, je discerne la modeste silhouette de Little Mountain. Partout ailleurs, l’horizon écrasé par le vide.
Pas de doute – nous sommes bien at the back o’ Bourke.
PRATIQUE CORNER
- Bourke se situe à 780 km au nord-ouest de Sydney via la Mitchell Highway. Vous pouvez également rejoindre Bourke par transports en commun CountryLink : depuis Sydney, le voyage se fait en train jusqu’a Dubbo, puis en car jusqu’a Bourke. Comptez 11h de trajet, et environ $100 par personne.
- Pour camper à proximité de la ville, suivez la Kidman Way en direction de Cunamulla. Vous avez le choix entre le caravan park de Kidmans Corner pour passer une nuit payante dans un endroit doté d’infrastructures, ou la possibilité de faire du camping sauvage à Mays Bend (gratuit, sans infrastructures).Ce dernier lieu-dit n’est pas signalé – prenez simplement la prochaine dirt road à droite après le caravan park, et suivez là jusqu’à être suffisamment isolé. Bourke elle-même contient également une auberge de jeunesse, la Gidgee Guesthouse.
- La bibliothèque locale propose accès à internet sur ses postes pour $2,50/heure.
- En ville, n’oubliez pas de faire un petit tour au Rotary Park des rives du Darling, où se situe la vieille jetée et plusieurs panneaux explicatifs sur l’histoire des lieux.
- Gundabooka National Park se situe à 50 km au sud de Bourke, suivez la Kidman Way en direction de Cobar avant de bifurquer à droite vers le parc national.
- Il n’y a pas de droits d’entrée au parc. La seule aire de camping est à Dry Tank, d’où démarre le sentier vers Little Mountain – comptez $5/nuit/personne pour y dormir.
- Le site d’art Yappa de Mulgowan est une balade de 2 km, comptez 45 minutes.
- La promenade jusqu’à Little Mountain fait 4,8 km, comptez 1H30.
- La petite randonnée jusqu’au sommet du Mount Gunderbooka fait 5,7 km, comptez 3H.