Suite à plusieurs attaques mortelles, l’Australie a décidé fin septembre de partir à la chasse au grand requin blanc. Dans le même temps, sous l’égide des Nations unies, 50 pays réunis en Allemagne, dont l’Australie, signaient un mémorandum pour la conservation des requins. Le débat, à la fois écologique et économique, agite depuis plusieurs mois les gouvernements et les scientifiques.
« Nous privilégierons toujours la vie et la sécurité des usagers des plages, avant les requins. Après tout, il ne s’agit que d’un poisson, il faut remettre les choses en perspective » a lâché fin septembre, Colin Barnett, Premier ministre de l’Australie-Occidentale.
En moins d’un an, la côte ouest australienne a connu 5 attaques mortelles de requins. Près de la moitié des 12 attaques recensées en un siècle.
Pour pallier à cette hausse inédite du nombre d’attaques, le gouvernement local de l’Australie-Occidentale a investit 5,5 millions d’euros dans l’abattage des requins jugés dangereux, ceux qui s’approcheraient trop près des côtes, mais aussi dans la recherche et la prévention via les réseaux sociaux. « Auparavant, l’ordre était donné en réponse à une attaque. Désormais, une action préventive sera mise en œuvre si un grand requin blanc présente une menace imminente pour les gens »,
a prévenu le 27 septembre Norman Moore, ministre de la Pêche d’Australie-Occidentale.
« Beaucoup plus de risques que de mourir par noyade »
Face à ce scénario, fidèle au script des Dents de la mer de Spieberg, les ONG, les scientifiques et les associations écologiste sont montés au créneau. « On connaît très peu le comportement des grands requins blancs », confie Peter Robertson, porte-parole en Australie-Occidentale de la Wilderness Society, dans le Monde du 29 septembre. « Comment reconnaître un requin qui va attaquer ? C’est impossible. Il y a beaucoup plus de risques de mourir par noyade dans l’océan. »
Aucune recherche aujourd’hui ne permet en effet de garantir l’efficacité de la chasse au « grand blanc ». Environ 100 espèces de requins sont aujourd’hui répertoriées dans les eaux australiennes, mais la plupart ne sont pas agressives. La Réunion, touchée par de multiples attaques de requins bouledogues et tigres ces derniers mois, avait autorisé la chasse aux requins en août, sans définir de période ni de quotas. Le tribunal administratif de Saint-Denis a suspendu l’arrêté du préfet le 27 septembre, jugeant que tuer quelques requins ne serait pas une solution à la sécurité des baigneurs.
Lors des 50 dernières années, l’Australie ne connaissait qu’une attaque mortelle de requin par an. Bernard Seret, biologiste marin à l’Institut de la recherche pour le développement (IRD), explique à RFI : « Dans les années 1990, à l’échelle mondiale, vous avez 50-55 attaques par an. Dans les années 2000, on est à 65 par an. Il y a une augmentation. Ca ne veut pas dire qu’il y a plus de requins mais plus de rencontres hommes-requins. »
Une évolution que confirme François Dufour, biologiste à l’Aquarium de Paris, toujours à RFI : « Les attaques de requins sont dans la plupart des cas une erreur de la part du requin. Il ne joue plus son rôle de prédateur dans la chaîne alimentaire puisque nous ne faisons pas partie de cette chaîne alimentaire ».
La hausse des attaques ne serait pas liée à une multiplication des requins près des côtes mais à une plus grande présence humaine en mer, notamment des surfeurs, qui sont assimilés à des phoques ou à des tortues de mer avec leurs planches.
540 euros le kilo d’aileron de requin
Le 27 septembre, les représentants de 50 pays, dont ironiquement, l’Australie, se sont réunis à Bonn en Allemagne, pour adopter un plan de conservation des requins migrateurs, dans le cadre plus large de la Convention sur la conservation des espèces migratrices (CMS). Le premier objectif est d’échanger les données entre gouvernements, scientifiques et ONG, afin de mieux évaluer la répartition des populations de requins.
Le deuxième objectif, beaucoup plus ambitieux, vise à enrayer la surpêche dont sont victimes les requins à travers le monde. Sur 1 000 espèces de requins répertoriées par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), 17% sont classées dans la « liste rouge » des espèces en dangers. Et en dehors de trois espèces, le requin-baleine, le requin-pèlerin et le grand requin blanc, protégées par la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (Cites), les requins peuvent être pêchés sans limites.
En adoptant ce nouveau plan de conservation, une partie de la communauté internationale veut s’attaquer directement à un fléau pour l’écosystème : la « pêche aux ailerons ». Chaque année, entre 26 et 73 millions de requins sont tués pour leurs ailerons, mets de choix, prisés notamment dans la gastronomie asiatique. Hong-Kong représente à lui seul la moitié du commerce mondial.
Le prix d’un aileron au kilo, selon l’Agence américaine d’observation océanique et atmosphérique (NOAA), aurait atteint 540 euros en 2011. Si la pêche aux ailerons est interdite dans ses grandes lignes dans l’Union européenne, il demeure quelques exceptions, et la découpe à bord y est encore autorisée, notamment en Espagne et au Portugal.
Une proposition est actuellement sur la table du Parlement européen pour interdire ces pratiques. « La plupart des requins sont des espèces qui vivent longtemps, grandissent lentement, atteignent leur taille adulte tard et se reproduisent peu. Ces facteurs biologiques rendent les requins particulièrement vulnérables à la surpêche et signifient que les populations peuvent mettre du temps à se rétablir une fois éteintes », alertent les membres de la Convention sur la conservation des espèces migratrices.
Comment lutter contre les attaques mortelles, de plus en plus nombreuses sur les côtes australiennes, sans bouleverser l’écosystème marin ? « Etant donné, leur déclin a travers le monde, nous devrions appliquer un principe de précaution et développer des mesures non mortelles pour les décourager de s’approcher des côtes, par exemple avec des produits chimiques non toxiques », propose Peter Robertson au Monde.
Selon Radio Australia, les requins ne percevraient pas les nuances des couleurs, ce qui confondrait les surfeurs avec des phoques. Au-delà de produits chimiques dans l’eau, des chercheurs australiens réfléchiraient à une combinaison spéciale anti-requins, colorées d’un gris proche d’un serpent de mer venimeux. Avec ses 5 mètres de long et ses mâchoires acérées de 90 centimètres, le grand requin blanc pourrait alors bien avoir peur de l’Homme.