Cette semaine, trêve de parcs nationaux ou d’articles pratiques : je vous propose, par le biais d’une interview, de partir à la rencontre d’un de ces personnages typiquement australiens, improbables et charismatiques, sur lesquels on tombe parfois au détour d’un chemin. Georgina a 26 ans, et entre son 1m78, ses longs cheveux et sa taille mannequin, on s’attendrait davantage à la voir avancer sur un podium plutôt que de la retrouver dans un champ à exercer son véritable métier : snake catcher, soit attrapeur de serpents !
Qu’est-ce qui t’a amenée à devenir attrapeuse de serpents ?
Eh bien, quand j’étais enfant, en tant qu’australienne née et élevée dans une ferme, on m’a appris qu’un bon serpent, c’est un serpent mort. On m’a appris à avoir peur d’eux. Puis, vers la fin de mon adolescence, j’ai commencé à regarder les émissions de Steve Irwin. Quand il parlait de serpents, je changeais de chaîne.
Mais du coup, je ratais une partie de l’émission, donc j’ai fini par regarder. Il se tenait là, un serpent à la main, à s’exclamer : « Regardez, il est trop cool ! ». Peu à peu, j’ai réalisé que, oui, les serpents sont trop cool ! Alors, j’ai décidé de les étudier et j’ai pensé que la meilleure façon de passer plus de temps en leur compagnie était de devenir attrapeuse de serpents.
Je suppose que c’est un métier peu répandu…
Il me semble que dans le Victoria nous ne sommes que 90, dont seulement 3 femmes (moi incluse).
À quel point trouves-tu ton activité dangereuse ?
J’ai passé ma vie à élever des chevaux, récupérer et réhabiliter des kangourous de 90 kilos, travailler dans des zoos avec de nombreux animaux… De mon point de vue, un petit serpent qui fait à peine 1 kilo et se replie sur lui-même parce qu’il est terrifié par les humains, ce n’est rien comparé à un étalon qui pète les plombs ou un éléphant qui pourrait t’écraser d’un faux pas !
Bien sûr, mais ça pourrait tout de même t’arriver d’être mordue un jour…
Impossible ! J’ai promis à ma famille que si je me faisais mordre, j’abandonnerai l’attrapage de serpents.
(Rires) Tu as un plan B si ça t’arrive malgré tout ?
J’essaierai de leur cacher… Je n’aurai qu’à dire que j’ai été envoyée à l’hôpital pour autre chose !
Blague à part, que se passe-t-il si tu te fais mordre, comment réagirais-tu ?
Quand je vais attraper un serpent, j’ai toujours un bandage dans une poche et mon téléphone dans l’autre. Le plan en cas de morsure et d’appliquer un bandage à compression sur le membre affecté, appeler l’ambulance puis rester tranquille et essayer de se détendre en attendant les secours.
Tous les vieux « remèdes de grand-mère » (laver, couper et même sucer la plaie !) sont sans effet et risquent sérieusement d’aggraver la situation. Il est primordial de ne pas laver la plaie afin que le serpent puisse être identifié correctement.
Même pour un spécialiste, il est très difficile d’identifier un serpent avec précision à vue – il faut se baser sur la forme et le nombre de leurs écailles, ce genre de choses. Pour être 100% certain de son identification, il faut avoir le serpent en main une dizaine de minutes. Les hôpitaux, eux, ont des kits d’identification du venin qui sont bien plus sûrs.
Combien d’appels pour attraper des serpents as-tu reçu cette saison ?
Très peu. Les incendies de février 2009 ont affecté une grande partie de la région, ce qui a énormément réduit le nombre d’appels que je reçois. J’ai dû recevoir environ 20 appels, et attraper une douzaine de serpents.
Une fois sur place, comment t’y prends-tu pour attraper le serpent ? Tu as des outils ?
Oui, on a un kit d’outils standard, bien que je n’en utilise vraiment que quelques-uns. Un outil que j’utilise à chaque fois c’est un manche au bout duquel se trouve une boucle de métal où un sac de toile est attaché, ce qui permet de facilement déposer le serpent dans le sac.
J’ai aussi un bidon dans lequel ranger le sac – le sac est fermé d’un nœud puis déposé dans le bidon en plastique, histoire que personne ne risque de venir chercher quelque chose dans la voiture et toucher le sac du serpent par erreur (note : le sac étant en toile, le serpent pourrait mordre à travers).
J’ai toujours avec moi un long crochet qui permet de ratisser un peu les feuilles et les débris du sol pour chercher le serpent, puis de l’attraper. D’autres attrapeurs utilisent un outil qui permet de coincer la tête du serpent au sol afin de le ramasser.
Certains utilisent de longues pinces, mais il est difficile d’évaluer la pression qu’elles exercent, hors trop de pression peut faire mal aux serpents, qui ont un squelette très fragile. Ce n’est donc pas une option très populaire. Il y a aussi des tubes en plastique que l’on peut placer sur la tête du serpent s’il est coincé quelque part, afin de pouvoir le tenir sans risquer de se faire mordre.
Bon, en même temps, si un serpent s’est coincé dans un filet par exemple, il a bien souvent des mailles entre les dents aussi, donc je me suis déjà retrouvée à devoir découper un filet autour des crocs d’un brown snake… C’est fun mais il faut faire bien attention !
J’ai tous ces outils avec moi en permanence, j’utilise toujours le crochet pour ratisser le sol. 99% du temps c’est tout ce dont j’ai besoin, je peux ensuite attraper le serpent à mains nues et le déposer dans le sac.
Et ensuite, tu les relâches dans la nature ?
Oui. Il faut les relâcher dans un habitat convenable, sur un terrain de domaine public, dans un rayon de 5 km autour de l’endroit où ils ont été attrapés. En vivant à la campagne, c’est assez facile de remplir ces conditions. Nous n’avons toutefois pas le droit de les relâcher dans des parcs nationaux.
Tu as déjà eu des missions particulièrement délicates ?
Une fois, il y a eu un tiger snake qui s’était fait enfermer dans un hangar réfrigéré à un camp nature. Évidemment le serpent a essayé de sortir et s’est glissé entre l’isolation et le mur extérieur, sauf qu’il s’est coincé dans un trou percé dans l’encadrement de métal d’une porte. Beaucoup de serpents font ça, ils essaient de se faufiler quelque part, mais la plupart de leurs organes se trouvent environ 8 cm derrière leur tête… Et boum, ils se retrouvent coincés.
Le tiger snake, une femelle, n’arrivait pas à faire marche arrière, elle a probablement passé la nuit coincée là. Elle s’est bien écorchée en essayant de se libérer, sans succès. J’ai dû écarter sa tête, serrer un peu son corps et tenter d’élargir le trou dans lequel elle était coincée avec des pinces de métal. Elle était bien en colère à ce stade et il y avait une petite foule qui me regardait faire ! Pour la dégager,
je ne pouvais pas la tirer en avant, il fallait que je passe par l’autre côté pour attraper sa queue et la dégager par l’arrière. Donc me voilà, la queue du serpent dans une main, mon pied de biche dans l’autre pour arriver à écarter un peu la tôle de l’isolation et permettre au serpent de passer…
Normalement, quand on attrape un serpent par la queue, il faut avoir quelque chose comme un sac ou un crochet dans l’autre main afin de pouvoir contrôler la tête. La plupart des gens pensent que si on tient le serpent par la queue, il ne pourra pas se retourner pour mordre. C’est faux – il peut le faire en un clin d’œil ! Toutes les espèces en sont capables.
Bien sûr, comme je tenais le pied de biche, je ne pouvais pas contrôler la tête. Donc il fallait faire très attention au timing. Je savais qu’au moment où je voyais sa tête arriver, il fallait que je lance le serpent sur le sol pour éviter d’être mordue ! Donc je tire, je la lance par terre, je lâche le pied de biche, je ramasse mes outils et hop, j’attrape un serpent légèrement sidéré pour l’enfermer dans le sac ! C’était plutôt intense.
Tu as aussi trouvé un serpent dans un sac à main un jour…
Oui, le serpent du sac à main, c’était amusant. Il y a un nouveau centre commercial à Marysville, le sol est en béton, le bâtiment est en plein milieu d’un terrain vague complètement dépouillé, et il y a un espace de 2 cm sous les portes ! En plus, suite aux incendies, il ne reste plus tellement d’endroits où se cacher. C’était un samedi, il faisait 40° et ce brave petit serpent s’est pointé dans une boutique.
Ni vu ni connu, il a escaladé un présentoir de vêtements et s’est glissé dans un sac à main qui pendait au bout. Pourquoi ? Va savoir ! En tout cas, il a passé la nuit là, et quand la boutique a ouvert le lendemain matin, un homme est venu et a décidé d’acheter ce sac à main. La vendeuse a commencé à enlever le papier qui rembourrait le sac et a trouvé le tiger snake…
Qui ne l’a pas mordue !
Non et ça ne m’étonne pas. Elle n’a pas touché le serpent lui-même, donc le serpent essayait sans doute désespérément de mieux se cacher au fond du sac pour ne pas être vu. Les employés ont vite réagi, ils ont fermé le sac et l’ont attaché. En général je déconseille aux gens de faire ça, au cas où quelque chose se passe mal, mais en l’occurrence ça m’a bien facilité la vie : je suis arrivée, j’ai versé le serpent du sac à mon bidon, et voilà ! Et le client a acheté le sac à main…
Georgina sera de retour sur le blog Australia-Australie.com la semaine prochaine, pour vous parler de la façon dont les serpents sont perçus par le grand public, et de la nécessité d’éduquer ce dernier – une des missions qu’elle s’est donné à travers son travail et son association, SnakeSense.
Elle vous donnera quelques petits conseils si vous souhaitez vous aussi observer ces magnifiques reptiles dans la nature, ou au contraire les éviter !
Merci à Georgina Beach (SnakeSense) et Duncan Bibby (Sugarloaf Interactive)
pour les photos illustrant cet article.
Un sacré bout de femme !
Elle est impressionnante, j’aimerais pouvoir la sortir de ma poche à la moindre dangerosité de la faune 🙂 !
Bravo, je ne savais pas que ce métier existait,j’imagine que la formation se prépare sur le terrain. Personnellement je ne suis pas vraiment amoureux des serpents mais j’ai quand même fait pratiquement la même chose (en moins dangereux) avec une couleuvre d’1,20 m qui avait choisi de transformer la moustiquaire en hamac, et comme le propriétaire des lieux était angoissé j’ai lâché l’animal un peu plus loin dans un endroit que je sais fréquenté par ces reptiles.
Cordialement.
Félicitations à toi pour avoir tiré un reptile d’un pépin, et l’avoir relâché sans lui faire de mal ! Beaucoup de gens sont susceptibles de paniquer et de tuer la bête, purement et simplement. En Australie, « va chercher une pelle » (ou autre outil tranchant…) reste une réponse courante à la vue d’un serpent mal placé. Accessoirement, c’est aussi comme ça que les accidents de morsure arrivent ! Georgina a déjà eu des cas très tristes de ce type, où quelqu’un l’appelle pour venir attraper un serpent, et le temps qu’elle fasse la route, la personne a changé d’avis et a trucidé le pauvre animal…
De manière générale, je pense que très peu de gens ont conscience qu’un métier tel qu’attrapeur de serpents peut exister. C’était l’une de mes motivations pour la réalisation de cette interview. L’autre étant bien entendu de rendre le monde un peu plus « reptile-friendly » ! C’est un travail de tous les jours pour les passionnés, et je pense que si nous aussi, les amateurs, on s’y met, on peut contribuer notre petite pierre à l’édifice… et quelle meilleure occasion qu’un voyage en Australie pour découvrir et apprendre à aimer les serpents ? 😉
* félicitations
* je voudrrais savoir si Georgina récolte le venin pour les vaccins
* est-il possible de filmer le travail de Georgina et de le diffuser sur youtube
Non, Georgina ne récolte pas de venin. Les serpents sont capturés seulement afin d’être immédiatement relâchés dans leur milieu naturel… à l’écart des habitations !
Une petite vidéo de ses activités est déjà disponible sur le site de son association, SnakeSense : http://www.snakesense.com/2010/04/07/snakes-camera-action/
Si tu souhaites collaborer avec elle, il suffit de directement la contacter : georgina@snakesense.com – toutefois, je précise que pour des raisons pratiques et de sécurité évidentes, ce n’est pas n’importe qui qui serait autorisé à l’accompagner et la filmer 😉 !
Salutations,
Serait il possible de vous contactez en privé afin d’obtenir plus de renseignements/détails svp ?
Comments are closed.