Une histoire des aborigènes pour aller au delà des lieux communs, des a priori sur ce sujet ô combien sensible en Australie. La reconnaissance de ce peuple, des ces peuples, et le processus de réconciliation sont en route, mais il reste beaucoup à faire pour préserver cette culture unique, au delà des images caricaturales et touristiques. Superbe travail de recherche et de rédaction par Caroline Simon.
Le rôle des médias
Un tas de films traite de ces relations problématiques à différentes époques: » Dead Heart » de Nick Pearson, » The chant of Jimmie Blacksmith » de Fred Schepisi, d’après le roman de Thomas Keneally, etc.
Tous sont extrêmement révélateurs, et ont éveillé les Australiens aux injustices subies par les Aborigènes. Un des derniers en date, c’est » Rabbit-Proof Fence « , mais je ne suis pas sûre qu’il est facile de le voir en France ; en tous cas il est téléchargeable.
D’autres média jouent un rôle crucial: citons les journaux (« The Age », de Melbourne a ses pages aborigènes), et donc des sites Internet entièrement dévoués à cette cause, notamment ceux des journaux aborigènes ( » Koorimail par exemple ).
La télévision et surtout SBS, chaîne publique multiculturelle , apporte aussi sa pierre à l’édifice. ABC a par exemple coproduit, il y a déjà quinze ans, une fiction, intitulée » Babakiueria » ( » BBQ area » !), qui inverse les rôles : les envahisseurs aborigènes font subir à leurs victimes anglo-saxonnes toutes sortes d’horreurs.
C’est très grinçant, et surtout on se rend bien compte de la perversité de certains raisonnements
Et sinon, même dans » Hartley Cœurs à Vifs » (chacun ses références…), un des épisodes met en scène les élèves qui reconstituent un procès fictif des Européens pour cause d’invasion ! C’est Drazic (j’assume!) qui joue le rôle du Captaine Phillip et à qui incombe la tâche difficile de défendre les colons.
L’issue du procès ? les premiers habitants remportent une belle victoire, nuancée par les circonstances atténuantes des Européens, et surtout des bagnards.
Tiens, puisqu’on discute » feuilletons « , dans » la Brigade des Mers » (en France, ça n’est pas diffusé, sauf peut-être sur le câble, mais sur la R.T.B.F. 1, un des inspecteurs (Mike Reilly) est Aborigène, et dans » Home and Away » (là, pas trop de traces, même en Belgique, et en plus je crois que ça n’est plus diffusé sur I.T.V.… Mais les Australiens et Franco-Australiens savent de quoi il s’agit !), certains personnages sont aborigènes ou d’origine aborigène, et faites-moi confiance, ne serait-ce que sur le plan esthétique, on y gagne !!! C’est les hormones…
Les bons comptes font les bons amis
Le Combat économique. Certains industriels prennent part au combat. Il ne s’agit pas de faire de la pub ! Promis ! Du 25 mai au 8 juin 1998, le Body Shop s’est par exemple joint aux festivités entourant la Semaine Nationale pour la Réconciliation : ils ont demandé à leurs clients de laisser leurs empreintes de pouce sur les pages de grands cahiers, ils ont vendu des brassards, ils ont distribué des cartes postales…
Le très respectable Q(ueen) V(ictoria) B(uilding) à Sydney fourmillait de gens aux pouces bleus ou noirs!
Le Body Shop possède aussi des plantations d’arbres à thé dans le nord de l’Australie.
Ses principes : à travail égal, salaire égal, produits écologiques, remèdes traditionnels, autogestion… Idem pour la marque australienne de cosmétiques Red Earth.
Telstra, l’entreprise de télécoms australienne, a, elle, utilisé un tableau d’une peintre aborigène, Kitty, pour une publicité. Or, l’histoire qui est racontée par une peinture aborigène doit dorénavant l’accompagner. Kitty, » d’humeur taquine « , a suggéré qu’il s’agissait d’une poêle à frire contenant deux œufs et du poisson. Telstra lui a envoyé un fax : aucun problème, pourvu que cela n’attache pas! Ca paraît anodin, mais autrefois, lorsque par hasard une œuvre aborigène était jugée digne de figurer quelque part, les tableaux avaient souvent été volés, aucune explication n’était donnée, et l’histoire s’arrêtait là… Il y a quelques années de cela, le Prix de l’Emploi et de l’Entreprise Aborigène de Nouvelle-Galles du Sud a été mis en place.
Il y a deux ans, un prix a été accordé dans la catégorie collectivités locales à l’Eurobodalla Shire Council: 3% de population indigène, 6% d’emplois aborigène.
Le secteur du tourisme, comme on l’a déjà dit, fonctionne pas mal de cette façon, par exemple à Uluru-Kata-Tjuta (anciennement Ayers Rock et les Olgas). En collaboration avec Parks Australia, les Aborigènes, propriétaires de l’endroit, déterminent les politiques et la gestion des visiteurs. Il y existe à peu de choses près 200 entreprises touristiques gérées par des Aborigènes, ce qui représente un revenu global de 20 millions d’euros annuellement.
Hazel Douglas de la tribu Guguyalanji dans le nord du Queensland, s’est lancée il y a cinq ans et son Safari Indigène a remporté plusieurs récompenses : « It is important to educate people in terms of Aboriginal culture and to preserve it. » D’où des excursions, lors desquelles sont enseignées diverses techniques de survie, etc. Au menu, bush tucker! Demandez un peu aux baroudeurs du site…
Des églises repenties
Il ne s’agit pas de faire du prosélytisme, mais la religion a son importance pour un certain nombre de personnes, alors, si on y voit des signes que la Réconciliation avance, tant mieux !
Comme toutes les sphères proches du pouvoir, après avoir contribué au pire, les hiérarchies religieuses participent aujourd’hui à la lutte.Dans le bush, la quasi-totalité des églises sont ornées de motifs et d’icônes aborigènes ; parfois, le prêtre lui-même est aborigène.
Les membres de l’église ont depuis longtemps retroussé leurs manches, et ils s’adaptent, au lieu de chercher à convertir. Les Stations de la Croix par exemple ont subi un » lifting » de choc, façon aborigène, par Miriam-Rose Ungunmerr-Baumann. Pari réussi !
En voici la couverture :
Ungunmerr-Baumann, Miriam-Rose. Australian Stations of the Cross. North Blackburn (Australie): Harper Collins, 1995. (couverture )
À Sydney, et ailleurs, en ville, quoi, les choses changent aussi grâce à des prêtres qui s’engagent. On pourrait citer quelques noms catholiques : Fr Peter Maher, Fr Ted Kennedy… sont connus pour accueillir une foule bigarrée à l’occasion de messes hautes en couleur.
Deux sœurs, les Soeurs Patricia et Dorothy Ormesher étaient également très actives. Dot est malheureusement décédée, mais leur action est poursuivie. Leur domicile à Redfern est très proche de « the Lane » ou Everleigh street, une des rues les moins recommandables du continent. Voici comment Dot décrivait ce qui s’y passait:
» In Australia, Reconciliation is mainly a people’s movement which spreads from community to community. We have a Reconciliation group here, which meets in this house every two weeks – just a group of neighbours and friends (black and white) that works towards good relationships. One of the first steps towards Reconciliation is education – particularly of non-Aboriginal people – in the true history of the oppression of Aboriginal people. They are now beginning to tell their stories. »
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Copyright texte : Caroline Simon