Une histoire des aborigènes pour aller au delà des lieux communs, des a priori sur ce sujet ô combien sensible en Australie. La reconnaissance de ce peuple, des ces peuples, et le processus de réconciliation sont en route, mais il reste beaucoup à faire pour préserver cette culture unique, au delà des images caricaturales et touristiques. Superbe travail de recherche et de rédaction par Caroline Simon.
Et les artistes dans tout ça ?
Autre citation, et ça vaut la peine, un petit extrait d’un ouvrage de David Malouf (Malouf, David. Remembering Babylon. Londres: Vintage, 1999. (130-131)).
« The children of this land were made for it, as it was for them; and is to them a rich habitation, teeming with milk and honey – even if much of the richness is still hidden; but then so was the milk and honey of the Promised Land, which was neither milk, nor honey, and the land itself to all appearance parched and without promise.
We must humble ourselves and learn from them. The time will come when we too will be sustained not only by wheat and lamb and bottled cucumbers, but by what the land itself produces, tasting at last the earthly sweetness of it, allowing it to feed our flesh with its minerals and underground secrets so that what spreads in us is an intimate understanding of what it truly is, with all that is unknowable in it made familiar within. »
Traduction « maison » : « Les enfants de cette terre ont été conçus pour elle, tout comme elle le fut pour eux, et pour eux, elle constitue un lieu de vie riche, avec du lait et du miel à profusion – même si la majeure partie de la richesse est toujours cachée, elle ne l’est pas plus en réalité que ne l’étaient le lait et le miel de la Terre Promise, qui ne consistaient ni de lait, ni de miel, et la terre elle-même était en apparence complètement desséchée, ne recelait aucune promesse. Nous devons nous montrer humbles et apprendre d’eux.
Le jour viendra où nous vivrons, nous aussi, non seulement de blé et d’agneau et de concombres en conserve, mais aussi du produit de la terre, où nous en goûterons enfin à sa douceur terrestre, où nous la laisserons nourrir notre chair de ses minéraux et autres secrets souterrains, ce qui distillera ainsi en nous une compréhension intime de ce qu’elle est réellement, et tout ce qu’il nous est impossible de connaître nous deviendra ainsi familier. »
Presque tous les écrivains australiens évoquent le sujet : pas évident de passer à côté, cf Peter Carey, Bruce Chatwin, Sally Morgan, etc. Attention transition subtile en vue… Allez, je me lance : » À mi-chemin entre littérature et chanson… la poésie « . Il y aurait beaucoup à dire, mais citons rapidement et dans leurs noms britanniques Archie Roach, Kath Walker (Oodjeroo) et Pam Errinaron-Williams. Tous écrivent ou ont écrit magnifiquement sur la difficulté, mais aussi sur la beauté de l’aboriginalité de nos jours.
Plus connus peut-être, les chanteurs : Midnight Oil, bien sûr ! Est-il besoin de rappeler les vêtements portés lors de la cérémonie de clôture des J.O. de 2000 ? Sans parler de leurs chansons dont les textes sont sans ambiguïté ( » Beds are Burning « , » My Country « , » Truganini « , etc.).
Toujours aux J.O., les membres de Savage Garden portaient des T-shirts aux couleurs ultra symboliques (rouge, jaune et noir).
Quelqu’un, ou plutôt quelqu’une, dont le ou les costumes vous auront peut-être plus marqué et pour cause : Kylie Minogue fait de temps en temps appel à des danseurs aborigènes.
Après le rock et la pop, le reggae : le groupe Yothu Yindi est aussi populaire qu’engagé. Leur chanteur, Mandaway Yunupingu, fut nommé Australian of the year en 1993 et leur chanson « Treaty » a beaucoup œuvré pour la reconnaissance des droits à la terre.
Une petite touche de peinture ? Les » Européens » qui captent enfin les paysages, couleurs et lumières » Aussies « , les métis qui se lançent dans l’art urbain (génial !), les Aborigènes qui se sont mis à peindre sur des supports permanents et vendent : tout ça, c’est de la Réconciliation.
Petit bémol tout de même : fascinés que nous étions par la manière radicale que cet art a de changer nos perceptions (Pablo Picasso, a dit des peintures sur écorce de Yirawala, chef de cérémonie du clan des Guwingu à Arnhem land (Territoire du Nord) : « It is what I have been trying to achieve all my life. »), nous en avons fait une industrie. » Nous » n’est peut-être pas le terme approprié… On verra si on trouve mieux !
Les Aborigènes furent victimes de leur propre succès et surtout du système économique. Ils devinrent dépendants du marché vers la fin des années 1990, avec au programme des injustices flagrantes : Billy Stockman ne reçut quasiment rien en échange d’un de ses tableaux, par la suite vendu 200 000 AU$. Il en a découlé une surproduction aux fins purement commerciales.
On dit par exemple de Clifford Possum qu’il ne terminerait plus ses peintures, objets vides de sens à vocation nettement plus alimentaire que spirituelle… D’autres peignent des motifs interdits et sont en bisbille avec leur communauté… Il est cependant possible d’atteindre un point d’équilibre comme dans les centres communautaires qui font à la fois office de galeries, de musées et de refuges.
D’autres gèrent leur carrière de manière autonome et sans se laisser prendre au piège : Freddie Timus qui travaille pour la Watters Gallery, où il est le seul peintre aborigène. D’autres sont éloignés de toute cette agitation, ainsi Balgo, communauté isolée, qui a de facto moins de contacts et préserve sa tranquillité.
Puisqu’on parle d’équilibre (encore une transition super naturelle), parlons danse, avec des compagnies innovantes : « The Bangarra Dance Theatre« , formé en 1989 par des danseurs et du personnel de « The Aboriginal Islander Dance Theatre« . Il s’agit d’une combinaison toute particulière de danses et de musiques d’influence traditionnelle et contemporaine.
Il va y avoir du sport … !
Et le sport, c’est quand même une des activités principales des Australiens, en dehors du BBQ et des soirées au pub ! Blague mise à part, on sait que les Australiens sont passionnés de sport, et en matière de Réconciliation c’est un domaine d’excellence. Il y a évidemment Cathy Freeman et son impressionnant palmarès.
Elle a remporté la médaille d’or du 400m chez elle, à Sydney. Vainqueur de nombreuses compétitions, elle s’est, à diverses, reprises drapée du drapeau aborigène lors du traditionnel tour de piste. Pour en revenir encore et toujours aux superbes J.O. de Sydney, elle a également accepté de jouer un magnifique rôle au cours de la cérémonie d’ouverture, celui d’allumer cette flamme olympique dans un décor spectaculaire.
Mais elle n’est pas la seule, loin s’en faut : Ty Arnold (vingt ans, meilleur surfeur australien actuel), Kyle VanderKuyp (un des meilleurs spécialistes du 100m haies), Glen, Mark et Garry Ella (les célèbres rugbymen), Nova Peris-Bone (elle a remporté une médaille d’or au hockey à Atlanta et elle a couru le 4×100 et 200m à Sydney.
Elle est également peintre donc très polyvalente !), Evonne Goolagong-Cawley (elle a gagné sept titres du Grand Schlem en tennis), Tony Mundine et maintenant son fils Anthony Junior et Lionel Rose (qui figurèrent parmi les plus grands boxeurs du monde), Dany Morseu (excellent joueur de basket).
Pas toujours très confortable : ils représentent l’Australie à l’étranger, mais aussi leur minorité d’appartenance à l’extérieur et à domicile. Ils incarnent également une certaine réussite dans un certain système. Une situation pas toujours facile, même pour un sportif.
Les « vrais gens »
Les dernières années ont été riches en » Marches pour la Réconciliation « . Ici, à Melbourne, notons la présence très attendue de M. Peter Costello, Ministre du Trésor, parmi les centaines de milliers de manifestants dénonçant la politique du gouvernement de coalition National-Libéral actuel, dont il est évidemment membre.
Les vrais gens s’organisent : des myriades de groupes de Réconciliation agissent en Australie : the Kuri-Ngai Partners, Caritas Australia, Australians for Reconciliation, Women’s Reconciliation Network, Projects for Reconciliation, the Aboriginal Support Group, the Ba’hai Community, Arilla (the Aboriginal Training and Development Group), etc.
Une multitude de groupes de citoyens pour la Réconciliation se sont donc formés (génération quasi-spontanée, enfin, presque, cf. paragraphe suivant), parmi eux, excellent exemple, Australians for Native Title and Reconciliation, qui couvre la totalité du territoire et fonctionne grâce aux bonnes volontés qui effectuent un énorme travail de terrain.
Ils publient des bulletins d’information, offrent une voix à ceux qui n’en ont pas toujours, annoncent les évènements à venir, confectionnent des revues de presse, racontent les histoires des uns et des autres, fournissent des tuyaux pour organiser et faciliter des rencontres, font la promotion de livres, de films. Autant d’activités tournant autour de la Réconciliation qui les tiennent très occupés.
Le coordinateur d’une de leurs branches, ReconciliAction, (les jeunes de NSW) écrit ceci sur l’origine de ces groupes:
« ANTaR was formed in 1996, after the then of the Council for Aboriginal Reconciliation leader, Pat Dodson, called on Australian people to form a people’s movement for Reconciliation. He had become increasingly disillusioned by the government’s position after the Prime Minister, John Howard made a divisive address to a Reconciliation summit. »
Ben Spies Butcher, c’est son nom, poursuit sur l’essor de ces groupes :
« From then on, ANTaR grew quickly, helped by a continuous series of well-known and influential Australians. This was at the time of the Mabo case, which recognized prior occupation of Australia by indigenous people and people’s tenure became known, became an extremely controversial issue with many Australians believing that their own land title was under threat although this was never a possibility according to the courts. »
Voici comment ANTaR, comme les autres groupes, fonctionne au quotidien, et comment on peut parfois déplacer des montagnes… et créer des » Mers de Mains » :
« ANTaR began collecting signatures in support of indigenous native title rights. Over 200,000 signatures were collected. It was then discussed how these would be presented to Parliament.
A group called Artists Against Racism suggested that each signature become a white hand and that these be laid out, like a European war cemetery outside the Parliament. This idea was taken to the National Indigenous Working Group who suggested that instead of white, the hands should be in the colour of the Aboriginal and Torres Strait Islanders flags (yellow, red and black and black, white, blue and green).
This became the Sea of Hands. ANTaR was also involved in the Sorry Books. This came out of a report into the practice of taking Aboriginal children who had a white parent or grandparent from their Aboriginal families. This became known as the Stolen Generation Report and recommended an apology. When the Federal Government refused, hundreds of thousands of Australians signed the books as part of a gesture of Reconciliation. »
Zoom sur ces personnes de bonne volonté : comment s’impliquent-elles personnellement dans la vie de la Cité ?
» ReconciliAction is still a fairly young group with fifty odd members aged between 16-25. We are about to go on the web; we are just awaiting the registration of our domain name. We are also currently running a project with « the Settlement » – an Aboriginal drop-in centre in Redfern. This involves young indigenous and non-indigenous people writing a play about Reconciliation with the help of playwrights and actors. We are also in the process of negotiating with the students in general schools around Sydney to begin ReconciliAction groups. »
Downunder il y a encore du boulot
Voilà, voilà… Vous savez tout ou presque ! En fait, loin de là, et moi non plus, mais le mieux, amis internautes, c’est d’aller voir là-bas comment ça se passe !
D’autres pays vivent des situations similaires (Afrique du Sud, Canada, Nouvelle-Zélande, etc.) : les derniers vestiges de la colonisation tombent…
N’hésitez pas à suivre l’actualité de la Réconciliation dans les journaux australiens et à demander des documents à l’Ambassade !
Voici les liens de quelques organisations :
ANTaR
Reconciliation WA
AustLII (Australasian Legal Information Institute)
Copyright photos : Antar.org, National Library of Australia, Upi.com
Copyright texte : Caroline Simon