Comment font les Australiens du bush livrés à eux-même ? Ceux qui n’ont pas d’autre maître-mot que la débrouillardise ? Voici l’exemple d’une famille vivant dans la région sèche, chaude et isolée qu’est le Pilbara, située au nord-ouest de l’Australie Occidentale. Leur histoire, c’est l’image de l’autre Australie, bien loin de Sydney et des autres métropoles de l’île-continent. Car ce territoire, grand comme 11 fois la France, est aussi immense que diversifié.
Le Pilbara, région dépeuplée d’Australie Occidentale
En quittant la côte ouest de l’Australie et le parc national de Ningaloo Reef, nous passons une journée entière sur la route pour rejoindre la région du Pilbara, avec pour objectif le fameux Karijini National Park. Mais voilà qu’en chemin, après une nuit sur un camp aux abords de la Nanutarra Wittenoom Road, une femme d’une petite quarantaine d’années se présente à nous. Elle s’appelle Robin et elle dit habiter juste à côté… À notre grande surprise, n’ayant vu âme qui vive depuis des centaines de kilomètres !
Car le Pilbara, ce sont 500 000 km2 (c’est-à-dire quasiment la France…) pour 40 000 habitants, dont la plupart peuple les côtes. La région est essentiellement composée de plaines désertiques et de roches appelées cratons. En route, on voit tout au plus quelques troupeaux de boeufs sur le bas-côté, la seule trace de vie humaine se résumant en une station-service tous les 200 à 300 km.
On ne réalise pas que sur notre chemin, tout autour du pays, nous foulons les terres de ces milliers d’Australiens qui vivent depuis toujours, ou ont choisi de vivre dans l’outback.
Voici l’histoire de l’une de ces familles, littéralement coupée du monde : la famille Pensini. Ce matin-là au campement, il fait chaud, très chaud et pourtant le mois de mai n’est pas le pire de l’année au niveau du thermomètre, nous sommes à la fin de l’automne. Ceci dit, la région dépasse facilement les 32 degrés toute l’année, atteignant parfois 45 degrés l’été. Alors évidemment, les mouches, véritable plaie de l’outback australien, ne nous lâchent pas. Comme souvent dans le bush, dès le réveil, il faut faire avec ! Nous sommes situés à environ 100km à l’ouest de Paraburdoo, une ville d’à peine 2000 habitants. Alors que nous nous apprêtons à prendre la route pour rejoindre cette ville et que le camp se fait désert, une femme à l’allure de cowboy, avec son chapeau et sa chemise à carreaux, nous propose de venir travailler quelques jours dans sa « station » qui manque de bras. Puisque rien ne nous attend nulle part et que nous sommes curieux, on se laisse convaincre assez facilement.
Une exploitation agricole immense et isolée
Au début, on pense qu’il s’agit d’une station-service, mais n’ayant rien vu sur la route, on a un doute. Finalement, quelques minutes plus tard, on se retrouve devant la maison de Robin et de son mari, Evan, située absolument au milieu de nulle part. Toutefois, contrairement à de nombreux Australiens, eux disposent au moins d’une belle route goudronnée à un kilomètre de chez eux ! Et cette terre que l’on foule tout autour, qui est également à eux, ils l’ont nommée Cheela Plains. Le couple possède pas moins de 188 000 hectares, et encore, c’est « une petite terre, environ deux fois moins que les voisins » d’après Evan. Ah, ils ont des voisins en plus ? Dans le Pilbara, le premier « voisin » habite à pas moins de 70 km de la maison des Pensini. Mais, quand on leur demande s’ils les connaissent, ils nous répondent « bien sûr, ce sont nos voisins ! » Et dire qu’on ne connaît même pas nos voisins de palier à Paris…
La « station », c’est donc cette terre, une exploitation agricole ouverte qui s’étend sur une terre rouge et recouverte ça et là de petites montagnes. Le couple Pensini possède « quelques » bovins (certainement un grand nombre, vue la taille du terrain) que nous ne verrons pas. Et pour cause, dans la région, il n’y a pas de clôture, le bétail se balade en liberté sur la terre. On se demande d’ailleurs comment ils font pour les retrouver. Malheureusement, ils ont bien moins de bovins qu’avant, depuis que la sécheresse a frappé le Pilbara. Il n’y aurait pas plu une goutte d’eau pendant 2 ans, entre début 2010 et début 2012. Si bien que les Pensini sont allés s’occuper d’une autre exploitation tout près d’Alice Springs, dans le Northern Territory, pendant tout ce temps. Les gens du bush sont bien plus dépendants de la nature que nous autres citadins.
Fraîchement de retour chez eux, ils reprennent doucement leurs activités. Cette terre, elle appartenait aux parents d’Evan, qui a toujours vécu à la campagne. C’est ainsi qu’il a rencontré Robin, venue du Texas pour étudier l’agriculture en Australie. Après avoir travaillé dans l’exploitation de la famille Pensini en 1991, elle rentre chez elle, aux États-Unis. Mais Evan veut l’épouser. Elle revient en Australie trois ans plus tard et n’en repartira plus jamais. 18 ans après, ils ont 4 enfants et forment une famille si typique de l’outback !
Tout fabriquer de ses propres mains, sans aide de l’État
Ensemble, ils ont bâti tout ce qu’ils possèdent dans le Pilbara. Et ici, plus que nulle part ailleurs, tout nécessite de mettre la main à la pâte. La maison, ils l’ont construite quasiment tout seuls, et en plus elle en jette ! Assemblée à partir de plusieurs « ship containers » (conteneurs maritimes), la maison a des allures de modèle dans une émission de décoration intérieure. Il a fallu une dizaine d’années à Evan pour tout finir. Le résultat est remarquable. Un sol en pierre de la région, un intérieur soigné et climatisé, une belle terrasse avec piscine et un jardin avec de l’herbe bien verte, ce qui saute plutôt aux yeux au milieu de ce décor désertique.
Ici le jour décline très tôt, 18h l’été, 15h l’hiver, alors les Pensini sont des lève-tôt. Ils n’ont pas d’autres choix que de vivre avec le rythme du soleil. À 15h l’école est finie, les enfants jouent dans le jardin, poussent le ballon ou grimpent dans les rares arbres assez grands pour être amusants. En dépit des éléments et malgré tout, la famille Pensini ne manque vraiment de rien. Car, pendant la journée, ils ne chôment pas, Evan revêt plusieurs casquettes : fermier, boucher, maçon, mari et papa. Pour ceux qui vivent en autarcie comme les Pensini, les impôts payés à l’État ne servent quasiment à rien. C’est en tout cas le sentiment qu’ils ont vu que les services publics sont presque inexistants dans ces zones si reculées. De manière générale beaucoup d’habitants du Western Australia se sentent laissés à l’écart, oublié par l’Est, où tout se passe.
Alors, les Pensini se débrouillent. L’eau, ils l’ont puisée eux-mêmes. Ils ne sont bien sûr pas raccordés à l’électricité alors il a fallu s’équiper de générateurs à pétrole mais aussi de panneaux solaires. Aujourd’hui, ils ont enfin l’électricité toute la journée. Quand ils ont besoin de quelque chose, ils doivent rouler 1h, jusqu’à Paraburdoo, pour aller faire les courses, ou jusqu’à Tom Price, localité de 3000 habitants, située à environ 130 km de Cheela Plains. Certains jours, Robin s’y rend même à deux reprises… Mais ils sont bien organisés, ont beaucoup d’espace et une chambre froide dans laquelle ils disposent la viande qu’ils conservent pour eux-mêmes. Avec ses belles bêtes, Evan découpe des entrecôtes, fabrique des saucisses, un régal au barbecue !
Une famille exemplaire
Ce sont des gens absolument adorables. Nous les aidons à peindre et aménager les premiers baraquements dédiés à des géologues et à des mineurs, ils en réaliseront d’autres par la suite. En effet, les sols du Pilbara sont riches, le Western Australia regorge d’ailleurs de mines. Les baraquements sont installés de l’autre côté de la Nanutarra Wittenoom Road. Nous dormons nous-même dans l’un d’eux, avec aucun voisin à des kilomètres à la ronde, à part peut-être un couple de varans qui a élu domicile sous notre abri !
Le couple a 4 enfants, uniquement des garçons. Les aînés sont deux jumeaux âgés de 15 ans, Gavin et Fraser. Le suivant, Preston, a 12 ans, et le petit dernier, Lawson, seulement 8 ans. Nous n’avons pas rencontré Gavin et Fraser car, à l’âge de 12 ans environ, tous les garçons de la famille sont amenés à quitter le nid familial pour la ville, en l’occurrence Perth, Capitale du Western Australia, située à 1500 km de là… Eh oui, car ici, pas de lycée et encore moins d’université. Ainsi, à peine pubères, les enfants Pensini quitte la maison pour l’inconnu total. Eux qui ont vécu toute leur vie au milieu de nulle part en autarcie avec leurs parents.
Une enfance pas comme les autres : « School of the Air »
En attendant l’heure de partir en pensionnat, Preston et Lawson suivent l’école à distance, qu’on appelle School of the Air en Australie. Des centaines d’enfants sont inscrits à la School of the Air de la ville la plus proche de chez eux, en l’occurrence Port Hedland (570 km au nord) pour les Pensini. Chaque matin à 8h, les garçons se connectent à Skype sur l’ordinateur et discutent avec le professeur et d’autres enfants comme eux. Ensuite, ils étudient dans leur coin la leçon du jour. Ils reçoivent régulièrement du courrier en provenance de l’école. Pendant plusieurs années, Robin a dispensé l’école à ses enfants, en plus de gérer son exploitation avec son mari. Aujourd’hui, une professeur à la retraite (également prénommée Robin) est volontaire pour aider les enfants quelques mois par an, en échange du gîte et du couvert.
En Australie, les États agissent souvent plus que l’État, et encouragent notamment les professeurs retraités à venir en aide à tous ces enfants isolés du monde. Et ça a l’air de fonctionner plutôt bien ! Preston et Lawson sont deux enfants très intelligents et studieux. Tous les samedis ou presque, les deux garçons jouent au footy à Paraburdoo, avec les enfants de la région. Un des rares moments leurs permettant de se sociabiliser avec d’autres enfants de leur âge.
Mais comme Preston s’apprête à partir, Lawson va devoir suivre l’école à la maison tout seul, pendant les 4 prochaines années ! D’ici peu, Evan et Robin se retrouveront à eux-deux sur leurs immenses terres. Bien sûr, leurs progénitures reviendront pour les vacances, de temps en temps. Et après tout c’est la vie qu’ils aiment, qu’ils ont choisi et qu’ils ne quitteraient pour rien au monde.
Le Pilbara, voisine du Kimberley, est en plus l’une des plus belles régions d’Australie à notre sens. On y a observé des couchers de soleil incroyables vus de la colline surplombant les baraquements. Et même de là-haut, toujours rien à perte de vue, à part une magnifique plaine coiffée d’herbes folles dorées et balayée par une terre rouge.
Photos de Pierre Checa
Photo de la famille Pensini par ABC
Bonsoir,
Je viens de lire cet article et c’est marrant car je vais aller travailler sur l’exploitation en avril ! Ca me donne encore plus envie maintenant !
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