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22 décembre 2024

Article LE MONDE 30/12/04

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    Caroline
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    Les Aborigènes, l’Australie et les bons sentiments

    Les Australiens prendraient-ils conscience de leur responsabilité dans la déchéance à laquelle ont été condamnés, longtemps, les Aborigènes de leur pays ? Après des années d’immobilisme, une série d’initiatives a été lancée pour sortir de l’impasse dans laquelle est bloquée l’immense majorité des indigènes australiens.

    Le décès de Cameron Doomedgee, le 19 novembre, durant sa garde à vue sur l’île de Palm, au large de Townsville, dans l’Etat du Queensland, a provoqué un débat.

    Il s’agit du 77e Aborigène mort en détention, depuis 1980, selon les chiffres de l’Institut australien de criminologie. L’autopsie de Cameron Doomedgee a révélé qu’il avait quatre côtes cassées et le foie perforé. La version officielle souligne que ces blessures seraient dues à une chute ou à un accident précédant son arrestation. Cette hypothèse est contestée, car Doomedgee chantait au moment d’être incarcéré. Les demandes d’explications de sa famille sont restées sans réponse, ce qui a envenimé la situation.

    Une semaine après la mort de Doomedgee, 300 aborigènes ont incendié le poste de police et le tribunal de l’île. Des policiers ont été dépêchés d’urgence pour mettre fin aux troubles ; 28 personnes ont été arrêtées, et 17 emprisonnées. Libérées le 6 décembre, elles ont été assignées à résidence avec l’obligation de respecter un couvre-feu. Elles ont l’interdiction de participer à des manifestations et n’ont pas pu marcher avec le millier de personnes qui ont défilé silencieusement, le 9 décembre, à Townsville, pour demander plus de justice sociale.

    Cette manifestation, qui a eu lieu sans aucun incident, semble avoir eu un impact positif dans l’esprit de nombreux Australiens. « Beaucoup de gens pensaient que la situation allait dégénérer, explique Barbara Glowczewski, directrice de recherche au CNRS, auteure de nombreuses études sur les Aborigènes. Mais cette manifestation est restée pacifique et cela a impressionné beaucoup de monde. Cela pourrait marquer un nouveau départ dans le règlement du problème aborigène. »

    Palm Island est un condensé tristement exemplaire de la crise qui frappe les communautés indigènes en Australie. Cette île, au décor paradisiaque, était une ancienne réserve, dite de punition, où ont été incarcérés, depuis les années 1920, des Aborigènes parlant une cinquantaine de langues différentes et issus de toutes les parties du Queensland.

    Les femmes étaient envoyées là pour avoir eu un enfant d’un Blanc, et les hommes pour avoir osé demander à être payés pour leur travail. Filles et garçons étaient séparés dans des dortoirs et n’avaient pas le droit de se parler jusqu’au mariage. Tout transgresseur était puni du cachot, et les filles étaient rasées. Une grève a éclaté, en 1957, pour demander que les familles soient traitées avec plus de justice ; 18 grévistes ont été exilés vers d’autres réserves.

    DÉLINQUANCE ET ALCOOLISME

    Depuis, les hommes et les femmes de Palm Island ont eu des enfants, mais ces familles souffrent d’un manque cruel de ressources. Les 4 000 habitants de l’île disposent d’infrastructures destinées à 500 personnes. Il n’y a ni boulanger, ni coiffeur, ni pharmacien. Les Aborigènes n’ont pas le droit d’acheter de terre ou de maison, et 90 % d’entre eux sont au chômage. Les vols, les violences domestiques, l’alcoolisme et la pédophilie sont monnaie courante.

    Pour sortir de cet engrenage, certaines communautés ont récemment passé des accords avec le gouvernement fédéral. Les habitants de Mulan, en Australie-Occidentale, ont ainsi promis de laver tous les jours le visage de leurs enfants, dont plus de la moitié souffrent de trachome (infection de l’œil due à une mauvaise hygiène), en échange de la promesse de l’Etat de construire une pompe à essence. Les automobilistes doivent actuellement faire 90 km pour remplir leur réservoir.

    Huit autres communautés basées dans la même région des Kimberley, où les Aborigènes meurent en moyenne à l’âge de 52 ans et où la proportion de personnes atteintes de maladies curables est comparable à celle enregistrée dans les pays du tiers-monde, s’apprêtent également à signer un accord avec Canberra. Le gouvernement fédéral espère avoir conclu une cinquantaine de partenariats avant le 30 juin 2005.

    Ces accords suscitent beaucoup de critiques. L’idée est « stupide et condescendante », estime Lowitja O’Donoghue, ancienne présidente de la Commission des Aborigènes et insulaires du détroit de Torres. Ces accords « ont le potentiel de se transformer en un véritable chantage », ajoute Aden Ridgeway, seul député aborigène au Parlement fédéral.

    De nombreuses autres voix soutiennent toutefois cette idée de « troc » avec le gouvernement imaginée par les aïeules de certaines communautés. Ces femmes ont souvent la charge des jeunes et, pour éviter de les voir sombrer dans l’alcoolisme et la drogue, elles voudraient s’en remettre à l’autorité de la loi australienne. Auparavant, leur vie était régie par les coutumes traditionnelles, mais les jeunes ne les respectent plus.

    De nombreux leaders aborigènes semblent également disposés à rouvrir un dialogue avec le pouvoir fédéral. Le premier ministre, John Howard, paraît prêt à renouer certains fils cassés par son refus de formuler des excuses au sujet des mauvais traitements infligés, dans le passé, aux indigènes. Il a rencontré, ainsi, l’ancien champion de football australien (AFL) Michael Long, qui a marché de Sydney à Canberra pour demander plus de justice sociale.

    Ces gestes sont louables, mais les bons sentiments ne peuvent suffire pour permettre aux Aborigènes de surmonter la crise dans laquelle ils sont plongés.

    Frédéric Therin

    • ARTICLE PARU DANS L’EDITION DU 31.12.04

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